Le poids des collectionneurs privés

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 17 février 2006 - 1037 mots

Les achats institutionnels ne représentent que 6 % du chiffre d’affaires des galeries. Ces dernières ont réalisé 66 % de leurs transactions en 2004 avec des particuliers français.

Sous perfusion institutionnelle, telle est l’image ingrate souvent attachée aux galeries françaises. Un cliché que démentent vertement les résultats de l’enquête du CPGA (lire p. 16). Les achats institutionnels ne représentent que 6 % du chiffre d’affaires des galeries dans leur globalité, 11 % pour celles dites « d’avant-garde ». Un chiffre modeste qu’expliquent la progression du nombre de collectionneurs privés et la chute concomitante des crédits d’acquisition publics. Les 4 millions d’euros des Fonds régionaux d’art contemporains (FRAC) additionnés aux 3,5 millions d’euros du Fond national d’art contemporain (FNAC) ne sauraient faire vivre toutes les galeries, loin s’en faut ! Le rapport du ministère de la Culture (voir note 2. p. 16) révélait déjà en 2001 que les achats publics représentaient le débouché principal de seulement 6 % des galeries d’art contemporain. Les montants des achats institutionnels apparaissent d’ailleurs modestes. « Il est difficile de vendre au-dessus de 300 000 euros, voire de 150 000 euros, à un musée français », assure la galeriste Nathalie Obadia (Paris).
Derrière le nivellement propre à la nature même de l’enquête, plusieurs réalités se côtoient. La Galerie Jérôme de Noirmont (Paris), dont le chiffre d’affaires avoisine les 3 millions d’euros, n’a bénéficié en onze ans d’activité que d’un seul achat public, une photo de Pierre et Gilles vendue au FNAC. Malgré le développement de la collectionnite en province, les galeries situées en régions ont, à l’inverse, souvent été tributaires de la manne publique, à l’exception notable de Catherine Issert (Saint-Paul de Vence). Les temps ont toutefois bien changé. La galerie rennaise Oniris n’engrange plus que 20 % de ses rentrées financières auprès des collectivités publiques, contre 50 % voilà quelques années.
Les bilans des galeries reposent pour 66 % d’entre elles sur les transactions avec les particuliers français. En revanche, des galeries modernes ou d’art contemporain classique comme Luc Bellier (Paris) ou Lelong (Pairs) n’effectuent respectivement que 25 % et 15 % de leur commerce dans l’Hexagone. « Nous nous focalisons sur des artistes internationaux, et, dans ce contexte, les acheteurs français se trouvent en concurrence avec ceux étrangers. En plus, nous n’avons pas d’artistes français », explique Jean Frémon, codirecteur de la Galerie Lelong. À une échelle moindre, Kamel Mennour (Paris) cède les plus petites pièces en France, les plus onéreuses à l’étranger.
L’internationalisation des clients passe aujourd’hui par les foires. Jérôme de Noirmont, qui effectuait jusqu’à présent 90 % de son chiffre d’affaires en galerie et ne participait qu’à deux foires annuelles, entend changer progressivement son fusil d’épaule. « Nous avions travaillé plutôt sur les rétrospectives dans des musées pour asseoir la réputation des artistes à l’étranger. Il faut maintenant activer l’aspect commercial par les foires », convient l’intéressé. Mais, effet pervers, les salons créent une urgence de nature parfois artificielle. Les jeunes structures y déploient de gros efforts, créent l’événement sur le plan critique sans obtenir de retour commercial immédiat. « Les foires nous servent de faire-valoir. À terme, j’aimerais ne pas les voir comme la seule issue et manière possible de travailler », avance Grégoire Maisonneuve.

150 000 euros annuels pour la production
Ces plates-formes de visibilité génèrent par ailleurs des coûts importants. Les galeries dépensent en moyenne chaque année autour de 30 000 euros dans les foires. Celles-ci ne représentent cependant que 14 % des frais d’une galerie, évalués par l’enquête en moyenne à 211 361 euros. Aux premiers rangs des charges se situent les salaires et les loyers (respectivement 55 873 et 36 500 euros). Accompagnateur de l’œuvre d’un artiste, le galeriste en est aussi le producteur et le régisseur par le biais du stockage. Deux postes d’autant plus corsés que les formats des œuvres se révèlent spectaculaires. « Pour s’adapter au climat, il faut aujourd’hui être beaucoup plus ambitieux sur la production. Les œuvres doivent être spectaculaires pour attirer le regard », constate Georges-Philippe Vallois. Ce dernier débourse chaque année autour de 150 000 euros en frais de production. Pour capter certains artistes étrangers, il est nécessaire de mouiller sa chemise, quitte à risquer l’asphyxie. Mais rares sont les galeries françaises capables d’aligner les mêmes fonds qu’une Marian Goodman (New York, Paris) pour la production…

Rentabilité moyenne
Bien que la plupart des galeries d’art contemporain jouent les vierges effarouchées sur la question du second marché, toutes l’ont pratiqué à des degrés divers. « La première personne qui m’a parlé du second marché était Ileana Sonnabend », rappelle Georges-Philippe Vallois, dont le courtage très spécifique sur les Nouveaux Réalistes génère 30 % de ses ressources.
Malgré une réactivité et un professionnalisme accru, les galeries restent des structures fragiles. « La rentabilité est très moyenne. Les frais [importants] engendrent des chiffres d’affaires [dont ne découlent] pas de gros bénéfices », admet Patrick Bongers (directeur de la galerie Louis Carré & Cie et président du CPGA). Tout en portant l’accent sur la faible part des achats publics, le CPGA n’exclut pas les soutiens institutionnels, de l’aide à la première exposition octroyée par la délégation aux Arts plastiques à celle pour les foires consentie par l’Association française d’action artistique (AFAA). « Ce n’est pas parce qu’un marché semble bien portant qu’il faut l’assassiner », conclut Patrick Bongers.

L’institution, un soutien ou une concurrence ?

Certaines galeries reprochent aux institutions de les court-circuiter dans les achats. En 2004, le FNAC a acquis 133 œuvres auprès des galeries françaises, mais 79 en direct à des artistes. « L’exception ne se produit que lorsqu’un artiste ne travaille pas avec une galerie en particulier et gère lui-même ses ventes », assure le délégué aux Arts plastiques, Olivier Kaeppelin. D’autres arguent d’une préférence accordée aux enseignes étrangères. Une antienne de moins en moins fondée. Sur les 88 œuvres achetées en galerie par le Centre Pompidou en 2005, 57 l’ont été auprès des enseignes françaises. En revanche, les galeries ne sont presque jamais intégrées au processus de commande publique. « Les textes sur la commande publique ont été rédigés il y a longtemps. Je voudrais qu’à l’automne soit étudiée la question de l’accompagnement des galeries au processus lorsqu’elles font un vrai travail d’agent », annonce Olivier Kaeppelin.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°231 du 17 février 2006, avec le titre suivant : Le poids des collectionneurs privés

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