Artisanat d'art

Enquête

L’artisanat d’art français en difficulté

Par Sophie Flouquet · Le Journal des Arts

Le 3 mars 2006 - 1298 mots

Une étude récente des Ateliers d’art de France (AAF) confirme les états d’âme des artisans d’art. Leur avenir passe nécessairement par une évolution de leurs métiers.

Charges élevées, difficultés de commercialisation, absence de valorisation : ce secteur fragile doit faire face à de réelles difficultés économiques. Mais, pour autant, l’artisanat d’art, qui ne représente que 10 % des entreprises artisanales françaises (source TNS Sofres, 2003), est-il menacé de disparition ? Afin de remédier à ce manque de visibilité, les Ateliers d’art de France (AAF), l’une des principales chambres syndicales (créée en 1886), ont lancé en 2005 une large enquête macroéconomique et sociologique auprès de leurs adhérents. Ce « Baromètre » vient d’être publié (1). S’il confirme les inquiétudes ressenties par ces professionnels face aux « difficultés endémiques », il esquisse aussi des pistes de réflexion, même si cette analyse bute inévitablement sur l’hétérogénéité du secteur (deux cent vingt métiers étant à ce jour inscrits au répertoire des métiers).

Transmission de savoir-faire
Tous semblent pourtant se rejoindre autour de préoccupations communes, au premier rang desquelles la faiblesse des revenus tirés de leur activité ; seuls 23,2 % des artisans interrogés affirment en effet en vivre correctement. Il faut toutefois noter que 22 % exercent une seconde activité : ceci révèle l’importance des amateurs qui travaillent dans le secteur. Certains militent pour la création d’une carte professionnelle qui permettrait de clarifier le statut des artisans d’art, mais aussi de relever le niveau d’exigence et de compétence. À l’origine des difficultés, logiquement, le coût des charges fiscales et sociales est d’abord évoqué (43 %), avant les problèmes de commercialisation des productions (raréfaction des points de vente, difficulté d’accès aux appels d’offres publics, concurrence internationale).
Parmi les artisans que nous avons interrogés, la plupart affirment aussi avoir souffert d’une baisse d’activité depuis la crise internationale de 2001 et la décrue des flux touristiques. L’enquête souligne à ce titre que près du tiers de la clientèle est étrangère, que les artisans soient implantés en zone rurale ou non. « Notre baisse d’activité a été très forte, car les antiquaires avaient perdu leur clientèle américaine », confirme un bronzier d’art. La concurrence des marchés asiatiques ou européens se fait aussi de plus en plus forte. Il a donc fallu se rabattre sur un marché hexagonal touché, lui aussi, par la morosité ambiante. Les organisations professionnelles tentent d’y remédier en ouvrant boutiques et galeries ou en offrant une aide technique et financière pour la participation à des salons étrangers. Toutefois, beaucoup d’artisans se sentent peu concernés par ces actions jugées « trop parisiano-parisiennes » –, alors que moins de 10 % déclarent habiter dans la capitale –, préférant se tourner vers des réseaux de solidarité locale. Le Baromètre des AAF confirme ainsi que 83 % des personnes interrogées ressentent un fort sentiment d’isolement. Autre source majeure d’inquiétude, y compris chez les plus jeunes : la retraite, et surtout la transmission de l’activité en fin de carrière, 63,3 % estimant qu’elle cessera à leur départ. À terme, la transmission des savoir-faire pourrait donc être sérieusement menacée par la fermeture de certains ateliers très spécialisés, particulièrement quand les formations s’éteignent parallèlement. La passementerie, l’estampe, la laque ou le tissage ne font déjà plus l’objet d’un enseignement spécifique. Paradoxe de cette étude : seuls 5,6 % des personnes interrogées pensent toutefois que les savoir-faire des métiers d’art sont en voie de disparition.

Manque de reconnaissance
Pour tenter d’arrêter cette hémorragie des compétences, le ministère de la Culture et de la Communication a créé, en 1994, le titre de « maître d’art », décerné depuis à soixante-trois artisans. Attribué à vie, il implique que l’artisan s’engage en contrepartie à accueillir et à former un ou plusieurs élèves. La méthode, qui vise l’excellence, s’inspire directement de l’exemple des « trésors nationaux vivants » créés au Japon après la Seconde Guerre mondiale. Si les trois quarts des maîtres d’art ont accepté de reprendre des élèves après une première expérience, l’opération est toutefois contestée par certains d’entre eux. « Au Japon, les trésors nationaux vivants bénéficient d’un système fiscal particulier, souligne le lapidaire d’art Pascal Thomasset. Ils ne paient pas de charge, et l’État rachète à la fin de l’année ce qu’ils n’ont pas vendu. En France, nous n’avons que le titre ! » Tous s’accordent en effet à reconnaître que le système devrait être amélioré : l’enveloppe de 16 000 euros accordée par l’État pour financer la formation entre dans le calcul du chiffre d’affaires et se retrouve donc soumise à impôt.
Si elle partage les préoccupations de ses homologues, Lison de Caunes, marqueteur de paille, estime toutefois que le malaise des artisans d’art vient d’ailleurs. « Pour moi, l’artisan n’est pas un artiste, précise-t-elle. Dans nos métiers, on trouve, d’une part, les artisans restaurateurs, pour qui il est aujourd’hui très difficile de gagner sa vie, et, d’autre part, les artisans d’art qui font de la création. Or, celle-ci n’est pas toujours d’un niveau d’exigence assez élevé. On peut être le meilleur artisan dans sa technique et ne pas être créatif. » De fait, il existe un flou réel autour de la définition des métiers d’art, comme le confirme le Baromètre des AAF : plus de 41 % des artisans d’art relèvent ainsi du statut juridique et fiscal des artistes. Cette situation est en grande partie liée au véritable manque de reconnaissance de ces professions. « Si, à la fin du XIXe siècle, les métiers de la main étaient considérés comme l’une des richesses de la France, nous sommes aujourd’hui des laissés-pour-compte, confirme l’éventailliste Anne Hoguet. Depuis les années 1970, les métiers de la main ont été dévalorisés. »

« Prêts à innover »
Les écoles des beaux-arts ont en effet progressivement fermé leurs ateliers de travail de la matière. « C’est une vieille querelle que d’opposer la tête et la main, déplore Geneviève Ravaux, chef de la mission des Métiers d’art au ministère de la Culture. Celle-ci ne devrait plus avoir cours. Les artisans d’art sont aujourd’hui en danger pour plusieurs raisons (formation, statut fiscal, concurrence, délocalisations…). Le ministère de la Culture soutient pour sa part les grands savoir-faire. Il s’attache à la qualité des individus et porte son attention sur les transmissions des savoir-faire aux niveaux national et régional ; celles-ci débouchent sur des emplois et la création de petites entreprises. »
Le problème est donc aussi d’ordre culturel, contrairement à ce que l’on peut observer outre-Manche, où le Crafts Council, héritier de l’Arts and Crafts de William Morris, fédère sans cloisonnement les métiers d’art, mais aussi les arts appliqués et les arts décoratifs. Les craftmen y sont encore majoritairement formés aux Beaux-Arts ou dans les écoles de design et, comme dans les pays scandinaves, la césure entre design et artisanat d’art n’a donc pas cours. La question de l’adaptabilité des métiers de la main aux données de la création contemporaine est donc l’un des enjeux majeurs de l’artisanat d’art français. Seul ce changement de cap pourrait donner un nouvel élan à ces forces vives du savoir-faire. « Il faut aussi développer l’innovation et la recherche pour déboucher sur la création de nouveaux métiers d’art, nés des évolutions technologiques », ajoute Geneviève Ravaux. Sur ce point, le Baromètre des AAF vire au beau : plus de 56 % des artisans interrogés se déclarent être prêts à innover pour attirer une nouvelle clientèle.

(1) L’étude de l’observatoire des Ateliers d’art de France (AAF) a été réalisée par le cabinet Dominique Reynié Conseil sur la base d’un questionnaire adressé à 972 adhérents de l’AAF. 480 artisans d’art ont répondu aux trente questions, ce qui constitue un très bon taux de taux de retour (près de 50 %). Les résultats de ce Baromètre serviront à préparer les prochaines assises des AAF, qui auront lieu les 23 et 24 juin à Aix-les-Bains (Savoie).

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°232 du 3 mars 2006, avec le titre suivant : L’artisanat d’art français en difficulté

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