L'actualité vue par

Olivier Kaeppelin, délégué aux Arts plastiques

« Donner toute sa place à la création dans notre pays »

Par Philippe Régnier · Le Journal des Arts

Le 3 mars 2006 - 1947 mots

Alors que se prépare en coulisses la grande exposition consacrée à la création en France, « La force de l’art », au Grand Palais à Paris, à partir du mois de mai, Olivier Kaeppelin, délégué aux Arts plastiques, revient sur les enjeux de cette triennale et commente l’actualité.

Quel est véritablement le but de l’exposition du Grand Palais ?
Cette initiative s’inscrit dans le cadre d’une politique qui souhaite donner toute sa place à la création dans notre pays. Vous savez combien c’est essentiel.
Parmi toute une série de mesures, le but de cette exposition est d’instaurer le principe d’un nouveau rendez-vous régulier, tous les trois ans, avec la scène en France. Ce type de manifestation existe dans de nombreux pays. En 2006, le British Art Show [tous les cinq ans], qui en est à sa sixième édition, à côté de la plus récente Tate Triennal à Londres, ont pour objectif d’exposer une part de la création en Angleterre. Ces grandes manifestations existent, entre autres, aux États-Unis, en Allemagne ou dans les pays nordiques…, comme celle que vient d’organiser Lars Nittve en Suède. L’exposition du Grand Palais n’est pas une manifestation bilan ni une nouvelle Biennale de Paris. La biennale internationale demeure pleinement et entièrement la Biennale de Lyon. Grâce à la direction de Thierry Raspail, elle est un événement majeur, et il n’est pas souhaitable de ramener dans la capitale une manifestation décentralisée dans une grande métropole régionale. Par ailleurs, une exposition historique sur les dernières quarante années reste à faire. Ce projet n’est peut-être pas de la responsabilité de la seule délégation aux Arts plastiques, mais pourrait être envisagé avec la direction des Musées de France [DMF] et certains grands musées qui s’y associeraient.
La manifestation du Grand Palais va présenter quelques aspects de la création en France, à travers certaines œuvres de tous ceux qui ont choisi d’y créer (par exemple Anselm Kiefer, Erró, Lee Ufan, Roman Opalka, Huang Yong Ping, Yan Pei-Ming…) ou d’y enseigner (comme Penone). Par ailleurs, la commande publique a accueilli, dans notre pays, beaucoup d’artistes qui vivent en Allemagne, aux États-Unis, en Italie… Il me semble que quand un artiste vient travailler six mois en France pour une œuvre qui prendra place dans une ville et contribuera au changement d’un quartier ou à l’aménagement d’un réseau de transport, il modifie notre réalité. À côté des artistes qui travaillent en France et qui sont français, l’exposition a aussi vocation à réunir ceux qui contribuent à donner sa vitalité à la scène française. Le mot « cosmopolite » est, je crois, l’un des plus beaux mots de la langue française.

Le choix a été de faire appel à quatorze commissaires. Comment s’est opérée la coordination entre tous ?
Je voudrais redire très précisément la manière dont nous avons travaillé. J’ai beaucoup parlé, tout d’abord, avec Jean-Louis Froment, puis avec Catherine Millet, qui sont des personnes que j’estime, l’un pour les expositions qu’il a faites, l’autre pour son travail critique. Puis nous avons essayé de réfléchir ensemble, avec Bernard Blistène, au sein d’un cercle plus large. Il est apparu clairement que « légiférer », ordonner, donner un sens univoque ne convenait vraiment pas à la situation de l’art, aujourd’hui. La création en France est extrêmement diverse. Cette richesse, il est essentiel de la faire comprendre. Nous avons donc créé un comité de réflexion qui rassemble des personnalités très différentes, un galeriste, un collectionneur, des critiques, des personnalités qui ont des responsabilités à Paris et en régions. Nous avons fait le choix des commissaires, un choix qui correspond à cette conscience de la diversité des œuvres et des points de vue. Aujourd’hui, le réel se comprend mieux par l’étoilement, les notions de « punctum » ou de « sphères » mobiles signifiant, entre autres, la pluralité des mondes. Nous avons réfléchi à des acteurs qui avaient ouvert des champs d’intelligence et de sensibilité, qui avaient établi des rapports singuliers à la création, afin que soit vécue très librement l’hétérogénéité des aventures artistiques. Il est aussi important de rappeler le rôle de la critique, et de dire qu’à partir de la critique se pense un certain type de relation aux œuvres d’art.

Chaque commissaire a-t-il eu carte blanche ?
Oui, absolument.

Tous les artistes contactés ont-ils accepté de jouer le jeu ?
Jusqu’à présent, oui.

L’exposition « Notre histoire… » au Palais de Tokyo, à Paris, est un succès public. Va-t-on retrouver les artistes de « Notre histoire… » au Grand Palais ?
Certains membres du comité de réflexion nous ont dit : « Attention, il ne faudrait pas que l’exposition du Grand Palais apparaisse comme une exposition excluante de l’exposition du Palais de Tokyo », c’est-à-dire qu’aucun des artistes du Palais de Tokyo ne s’y retrouve. D’autres pensaient plutôt : « S’ils sont déjà montrés au Palais de Tokyo, pourquoi les remontrer une deuxième fois ? » C’est surtout aux commissaires de travailler sur le fond et de faire leur choix. La pire des choses serait de réduire ce type de projet à des listes. L’exposition réunira environ cent soixante artistes. Les commissaires ne se sont pas attachés à construire une sorte de « best of », mais à faire une proposition de présentation et de lecture. Ce qui ressort des textes que nous recevons ces jours-ci de chaque commissaire, c’est un profond engagement dans une méthode, une relation aux œuvres et aux artistes qui leur sont propres.
 
Un espace est réservé à l’artiste Xavier Veilhan. Quel va être son projet ?
Plusieurs fois, il a su penser un dispositif d’exposition, et il l’a fait non pas à partir de ses propres œuvres, mais à partir des œuvres des autres. Je prends deux exemples : d’une part le projet hyperréaliste réalisé pour la Biennale de Lyon en 2003, ou le mur de verre pour les Rencontres d’Arles. Il est donc dans cette perspective-là. Ce qui l’intéresse, c’est ce que l’on pourrait appeler sommairement non pas une histoire de la statuaire, mais, quelque part, une réflexion sur la sculpture à partir de la statuaire. Son projet installe quelques sculptures référentielles, jusqu’à des sculptures d’artistes français ou travaillant en France aujourd’hui.

Comment cette exposition du Grand Palais va-t-elle pouvoir être pérennisée ?
L’objectif du ministre de la Culture est de créer ce rendez-vous régulier qui manque sur l’actualité de la création en France. Ce rendez-vous est ouvert et intergénérationnel, il ne s’agit pas de faire une manifestation de plus. Nous pensons annoncer le commissaire, la personnalité ou les personnalités et le principe d’organisation de la prochaine édition dès la fin de cette première exposition.

Le Premier ministre suit-il ce projet au jour le jour ?
Non, avec ce rendez-vous, il a souhaité donner une impulsion. Par les diverses décisions qu’il a prises, et dont vous avez longuement parlé dans vos colonnes, il désire donner toute sa place et son importance à la création artistique. Après, il fait confiance évidemment au ministre de la Culture et aux professionnels que nous avons invités pour le réaliser.

Les présidents des Fonds régionaux d’art contemporain [FRAC] ont envoyé une lettre au ministre de la Culture pour dire les soucis qu’ils avaient concernant les acquisitions, qui ont été gelées en 2005 (lire p. 32). Les choses vont-elles être rattrapées en 2006 ?
En 2005, certains FRAC, et dans des proportions très variables, ont été touchés par des baisses des crédits d’acquisition, 15 % en moyenne sur le plan national. Les directeurs des FRAC ont écrit au ministre, et nous avons fait le bilan ensemble avec les conseillers aux Arts plastiques. Par ailleurs, la moitié des FRAC n’a pas été touchée par ces réductions, sans oublier un certain nombre de cas qui mériteraient une analyse plus précise (reliquat de budget d’acquisition, changement de direction…). Certains présidents de FRAC se sont également émus. Sachez enfin que l’État contribuait au fonctionnement des FRAC à hauteur de 2,961 millions d’euros en 2004, de 3,011 millions d’euros en 2005 et aux acquisitions pour 2,43 millions d’euros en 2004 et 2,042 millions d’euros en 2005. Quand, comme c’est hélas déjà arrivé, il y a des difficultés budgétaires, il faut bien sûr préserver les acquisitions ; mais le grand enjeu, à partir des fonds constitués, est de toujours assurer la diffusion, la mise en relation des œuvres, des artistes avec les publics, l’individu ou le citoyen. En 2006, le ministre de la Culture s’est engagé à ce que l’ensemble des budgets prévus pour les FRAC soit totalement respecté.

Parmi les FRAC de seconde génération, le projet d’installer celui de Poitou-Charentes à Angoulême dans un nouvel espace est remis en cause. Ségolène Royal, présidente de la Région, a décidé de mener une réflexion concernant Cabrilia, un ancien centre d’agritourisme. Quelle est la position de la délégation aux Arts plastiques [DAP] par rapport à cette installation d’un FRAC en rase campagne ?
La position de la DAP et de la DRAC [direction régionale des Affaires culturelles] est toujours la même, c’est de ne pas avoir d’avis a priori avant qu’une étude ne soit rendue. Dans ce dossier, elle a été confiée par la Région à un artiste, directeur d’école, Gildas Le Reste. De notre côté, nous avons demandé une expertise à notre inspection. Nous attendons les résultats de ces deux analyses. Rappelons cependant que la Ville d’Angoulême s’est fortement investie, depuis des années, pour le FRAC, l’a porté et lui a donné sa visibilité. N’oublions pas cet engagement et cet acquis. Par ailleurs, les FRAC se situant hors des centres urbains où il y a un public étudiant, un public naturel, un public de passants, de visiteurs… ont connu des problèmes d’identité et de fréquentation. Pour avoir été associé à la création du FRAC Pays de la Loire, je me souviens de ses problèmes, lorsque le FRAC, bien qu’installé dans des lieux magnifiques (Fontevraud ou la villa Lemot), mais trop éloigné de la métropole régionale, n’arrivait pas à capter toute l’attention qu’il méritait. Son remarquable directeur, Jean-François Taddei, n’a eu de cesse que de se rapprocher de Nantes, à Carquefou, dans sa périphérie. Par ailleurs, la distance implique de lourdes dépenses en moyens de transport, de communication…

Autre dossier important, celui du Palais de Tokyo. Comment vont s’articuler les deux projets ?
Le réaménagement du Palais de Tokyo tiendra compte de l’expérience du Site de création contemporaine. Cette expérience est une réussite, nous devons en tirer les enseignements. Pour le futur projet, sachez que Maurice Lévy est membre à part entière du comité de pilotage concernant les nouveaux espaces.

Un espace sera-t-il réservé pour la création en France ?
Oui, Alain Lombard, directeur du projet, travaille sur différentes hypothèses concernant cet espace (de 2 000 à 4 000 m2). Y seraient organisées des expositions monographiques d’artistes vivants dont l’œuvre présente de grands ensembles significatifs. Il ne s’agira pas de création émergente. Il est urgent de consacrer à ces artistes passionnants un lieu leur permettant de déployer leur œuvre.

Quelles expositions vous ont marqué dernièrement ?
D’abord deux expositions très différentes : l’une consacrée à la peinture, imaginée par Richard Leydier, avec notamment Stéphane Pencreac’h, Robert Combas, Ronan Barrot, au Musée d’art contemporain de Lyon. L’autre à l’Institut d’art contemporain de Villeurbanne [Rhône], une magnifique exposition de Melik Ohanian proposée par Jean-Louis Maubant. J’ai aussi beaucoup aimé l’exposition très troublante de Gérard Garouste chez Daniel Templon [Paris], et « Notre histoire… » au Palais de Tokyo, une belle proposition d’œuvres très vives d’Arnaud Labelle-Rojoux, de Wang Du, de Barthélémy Toguo, de Laurent Grasso, de Kader Attia, d’Agnès Thurnauer, pour n’en citer que quelques-uns, œuvres très différentes rassemblées par Jérôme Sans et Nicolas Bourriaud. Et enfin, la splendide exposition de Markus Raetz construite par Farideh Cadot et Françoise Cohen, au Carré d’Art de Nîmes.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°232 du 3 mars 2006, avec le titre suivant : Olivier Kaeppelin, délégué aux Arts plastiques

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