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Les exportations temporaires dominées par les expositions

Par Jean-Marie Schmitt · Le Journal des Arts

Le 17 mars 2006 - 1561 mots

Une étude du ministère de la Culture analyse le mouvement des échanges d’œuvres d’art entre la France et l’étranger sur la période 1993-2004. Et apporte son lot de surprises.

À la suite de l’article paru dans le JdA no 231 (17 février 2006, p. 27), portant sur l’examen, par l’Observatoire des mouvements internationaux d’œuvres d’art, des importations et exportations de biens culturels entre la France et l’étranger, Jean-Marie Schmitt commente cette quinzaine l’étude du Département des études, de la prospective et des statistiques (DEP)/ministère de la Culture réalisée pour l’Observatoire.

Si la France semble garder le contrôle des œuvres majeures, les sorties de biens culturels ont beaucoup augmenté depuis 1993. Les statistiques de la période 1980-2005, analysées par le DEP pour l’Observatoire des mouvements internationaux d’œuvres d’art, donnent la mesure de cette accélération.
Dans l’examen des chiffres, il faut tenir compte du fait que, jusqu’en 1992, les statistiques douanières englobaient la totalité des échanges français (hors échanges clandestins évidemment). À partir de 1993, les expéditions vers l’Union européenne et les acquisitions intracommunautaires – en particulier avec le Royaume-Uni – ne font plus l’objet de déclarations d’exportation et ne sont plus appréhendées qu’à partir des déclarations d’échange de biens des professionnels.
Le système européen de contrôle des exportations de biens culturels et le nouveau dispositif français (certificat de libre circulation) ont pris effet le 1er janvier 1993, simultanément à l’ouverture du marché unique. Depuis janvier 2005, le ministère de la Culture a compétence pour délivrer les certificats de libre circulation – procédure spécifique à la France – et les licences d’exportation, auparavant délivrées par la direction générale des Douanes.
Il faut également se souvenir que, conformément au règlement communautaire de 1992, les licences sont exigées seulement pour les biens dont la valeur excède des seuils financiers fixés pour chacune des quatorze catégories de biens culturels, en tenant compte de la fragilité relative de chaque catégorie. Ainsi les tableaux, qui représentent près de 60 % des échanges, sont contrôlés pour une valeur excédant 150 000 euros, les objets de collection – comprenant l’essentiel des arts décoratifs – le sont au-delà de 50 000 euros, tandis que les archives ou objets d’archéologie se voient appliquer le seuil zéro, avec quelques dérogations portant celui-ci à 1 500 euros.

Les derniers chiffres
Au cours du premier semestre 2005, le ministère de la Culture a délivré 11 390 licences, correspondant à 20 873 biens culturels, pour une valeur de 1,9 milliard d’euros. Heureusement, seulement 75 millions d’euros correspondent à des exportations définitives, et 82,5 millions d’euros, à des exportations pour ventes éventuelles. Les exportations temporaires comptent pour 1,742 milliard d’euros soit environ 92 % du total des licences.
Les certificats correspondants avaient été délivrés par la direction des Musées de France (DMF) pour 66 %, par la direction du Livre et de la Lecture (DLL) pour 14,7 %, par la direction de l’Architecture et du Patrimoine (DAPA) pour 14 %, et enfin par la direction des Archives de France (DAF) pour 5,3 %.

Entrée en mondialisation ou fuite du patrimoine ?
Abstraction faite des pics spéculatifs de 1988-1990 et, dans une moindre mesure, de 2000, les graphiques ci-dessus traduisent une croissance régulière des échanges tant à l’exportation qu’à l’importation. Même si les importations évoluent dans des proportions voisines des exportations, le solde des sorties en valeur croît régulièrement. Le poids considérable de la peinture est manifeste.
Si on prend en compte l’importante libéralisation du dispositif de contrôle français en 1993, il n’apparaît pas de relation mécanique entre l’ouverture des frontières et l’accroissement des exportations.
Observations de la DEP : « Les exportations sont en permanence supérieures aux importations pour toutes les catégories examinées, à l’exception des collections dont les volumes d’exportations et d’importations sont très voisins et évoluent de manière proche. Ce n’est qu’au moment du “pic” de 1990 que le gonflement des importations aboutit à un équilibre des échanges pour les antiquités. Cet excédent structurel de la balance commerciale ne saurait cependant s’interpréter de manière simple comme une “perte de patrimoine”. En effet, il faudrait approfondir le lien entre l’évolution du marché intérieur et cette évolution des échanges : des mouvements internationaux peuvent correspondre au dénouement aussi bien de transactions réalisées en France que de transactions réalisées sur des marchés étrangers par des agents économiques français. »
La DEP observe « que les importations restent systématiquement inférieures aux exportations, l’écart tendant à s’accroître depuis dix ans, ce qui alimente des inquiétudes récurrentes sur une éventuelle “fuite ” du patrimoine français. » Elle relève que « les exportations définitives connaissent une progression particulièrement régulière si l’on excepte le léger fléchissement de 1995 et le pic de 2000-2002. Le montant des exportations définitives passe ainsi de 300 millions d’euros à plus de 600 millions en fin de période. Quant aux importations, elles sont d’abord en repli avant de reprendre à partir de 1998 pour atteindre 300 millions d’euros en fin de période ».

Questions sur les certificats
« Le certificat est indispensable pour toute exportation définitive, quel que soit le pays de destination, mais il est peu à peu devenu de plus en plus nécessaire pour proposer à la vente en envisageant une vente éventuelle. Dans ces conditions, le nombre de certificats peut – ou a pu – constituer un indicateur avancé des mouvements d’exportations, sans qu’il soit possible de dire s’il anticipe les mouvements plutôt définitifs ou plutôt temporaires. »
Sans poser directement la question de l’incidence du dispositif de contrôle français, le DEP souligne la forte progression du nombre de certificats délivrés et relève que leur évolution est proche de celle des mouvements définitifs.
« Ce nombre progresse de façon à la fois forte et très régulière jusqu’en 2001 si l’on excepte le fléchissement de 1995, qui peut correspondre à la fin de la période de mise en place du certificat. Depuis 2001, la progression continue de manière plus heurtée pour atteindre des niveaux de 8 000-9 000 certificats délivrés par an. […] Le rapprochement du nombre de certificats et du montant des exportations définitives, pour hétérogènes que soient ces données, montre une assez bonne corrélation avec les exportations définitives jusqu’en 2000, en particulier dans la mise en évidence du fléchissement de 1995. Ensuite, les évolutions divergent nettement, les exportations se stabilisant alors que le nombre de certificats continue à progresser. »
Le certificat, vilipendé à l’origine par les professionnels qui craignaient une thrombose bureaucratique, est devenu un « must » des échanges de biens culturels français. Son succès témoigne d’une professionnalisation accrue des opérateurs français. Le dispositif a sans doute aussi contribué à une décrispation de la relation entre le marché et les institutions patrimoniales.

Le temporaire, antichambre du définitif ?
Le Département des études fait les observations suivantes : « Les relations entre mouvements définitifs et mouvements temporaires appellent plusieurs commentaires. […] Les mouvements définitifs suite à des mouvements temporaires sont limités par rapport à l’ensemble des mouvements définitifs : les exportations définitives suite à exportations temporaires représentent moins d’un quart des exportations définitives. Les importations définitives suite à des importations temporaires sont également du même ordre de grandeur par rapport aux importations définitives totales. […]
Concernant les mouvements temporaires globaux (c’est-à-dire pour vente éventuelle et pour exposition), on relèvera seulement qu’[ils] sont d’un volume beaucoup plus élevé que les mouvements définitifs – de l’ordre de 2 à 6 milliards d’euros – et évoluent à un rythme très heurté ; les exportations temporaires sont plutôt en croissance alors que les importations temporaires se replient en fin de période.
[…] Le fait que ces mouvements temporaires globaux donnent lieu à des flux de retour (réimportations ou réexportations) si importants et à des mouvements définitifs si faibles donne à penser que les mouvements temporaires pour exposition sont en valeur beaucoup plus importants que les mouvements pour vente éventuelle. »
En conclusion : « L’ensemble de ces éléments conforte la vision d’un fort dynamisme des échanges marchands au moins jusqu’à la fin des années 1990 ; les évolutions divergent ensuite en même temps qu’elles se font plus heurtées, ce qui rend difficile la mise en évidence d’une véritable évolution globale. Ces échanges marchands vont de pair avec des mouvements non marchands importants tant en valeur qu’en nombre d’œuvres et objets circulant pour exposition. Mais, dans l’état actuel des données, il est impossible d’apprécier plus finement l’un par rapport à l’autre ces deux types d’échanges. »
À partir de cette constatation, la question pourrait s’ouvrir à celle de l’économie des opérations temporaires pour actualiser le vieil argument du négoce selon lequel les biens culturels exportés seraient autant d’ambassadeurs de la culture française. Les expositions et autres manifestations culturelles, qui ne fonctionnent que sur des mouvements temporaires, sont devenues des vecteurs d’activité très importants, tirant derrière elles des savoir-faire où la France dispose de compétences étendues (logistique, catalogue et expertise afférente, publications et produits dérivés, accueil touristico-culturel, etc.).
Si une relation effective entre les activités du négoce et ces manifestations était établie, la réflexion patrimoniale en serait largement modifiée.
L’Observatoire a créé les conditions d’une centralisation de l’information et des compétences pour l’interpréter. Dès lors, on peut espérer que les prochaines années apporteront des réponses argumentées.

Les informations et tableaux repris ci-dessus sont extraits du document établi par le DEP : « Analyse statistique des évolutions 1993-2004 (n° 12, sept.2005) ». L’intégrale de cette étude est disponible et téléchargeable sur le site du ministère de la culture : www.culture.gouv.fr/dep/telechrg/stat/nstat12.pdf

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°233 du 17 mars 2006, avec le titre suivant : Les exportations temporaires dominées par les expositions

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