Les antiquaires face au blanchiment

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 17 mars 2006 - 599 mots

Devant un petit parterre d’antiquaires plutôt nerveux, le juriste Philippe Conte a exposé dans les locaux parisiens du Syndicat national des antiquaires, le 1er mars, les risques encourus par les professionnels en cas de blanchiment.

Le débat a été suivi de près par deux des marchands parisiens incriminés dans l’affaire du détournement des fonds de la BNP Paribas par une employée de la banque, Françoise Hardier. Celle-ci avait subtilisé 15 millions d’euros pour acheter du mobilier et des objets d’art auprès d’une vingtaine de marchands (lire le JdA no 214, 29 avril 2005, p. 25).
Les risques encourus pour les antiquaires en cas de vente d’œuvres servant à blanchir de l’argent ne sont pas à prendre à la légère. Les textes sont multiples et rédigés de manière extensive. Certains d’entre eux portent sur les blanchiments spéciaux, liés par exemple au trafic de stupéfiants. D’autres documents plus généraux répriment tout recyclage consécutif à un délit quelle qu’en soit la nature.
A priori, un marchand de bonne foi ayant participé à une opération de recyclage en ignorant l’origine des fonds ne risque pas de condamnation. A priori seulement ! Car certains jugements stipulent que « le professionnel ne pouvait pas ne pas savoir » ou, pire, qu’il « aurait dû savoir ». Les antiquaires ne peuvent donc arguer de la présomption d’innocence.

Appeler Tracfin
Pour conjurer le blanchiment, Philippe Conte a égrené quelques mesures, comme la tenue d’un livre de comptes précis et sans rature. Les professionnels doivent aussi refuser tout paiement en espèces supérieur à 3 000 euros pour un habitant de l’Union européenne et à 7 500 euros pour les autres. Cette règle est facile à mettre en pratique en France, où le règlement en liquide se fait rare. Elle se révèle en revanche ardue en Belgique, où les paiements en espèces sont – c’est le cas de le dire – monnaie courante.
Toutefois, même lorsque les marchands s’acquittent scrupuleusement de leurs devoirs, l’intime conviction du juge et, in fine, une présomption de culpabilité pèsent sur leurs épaules. La vraie assurance tous risques serait la déclaration, sous couvert d’anonymat, de toute opération suspecte à la cellule d’investigation du ministère des Finances, Tracfin (Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins). Encore faut-il définir ce qu’on entend par « suspect ». Des comportements troublants pour le commun des commerçants ne le sont pas forcément pour des antiquaires.

Conflit de devoirs
Les collectionneurs requièrent parfois un anonymat total et passent par l’intermédiaire d’un tiers, prête-nom ou décorateur, pour acheter des œuvres. Du coup, depuis 2001, date à laquelle les antiquaires sont assujettis à cette déclaration, Tracfin n’a traité que trois cas. Les auctioneers, qui entretiennent avec leurs clients acheteurs des rapports moins personnels, semblent avoir une éthique plus stricte. Pour Christie’s, il y a matière à suspicion lorsqu’un nouveau client refuse de donner une information sur lui-même et l’objet qu’il met en vente, ou lorsqu’il vend un objet dans les six mois après son acquisition sans raison valable. Le doute surgit aussi quand un client régulier achète soudain à des niveaux de prix inhabituels. Des paiements multiples provenant de différents comptes pour un même achat ou le règlement par une tierce personne sans raison valable cultivent enfin les soupçons. Pour éviter la déclaration à Tracfin, que les marchands assimilent à de la « délation », il reste une solution de bon sens : ne pas contracter en cas de doute vraiment fondé. Sauf que le refus de vendre relève aussi d’une infraction ! Mais lorsqu’il y a conflit de devoirs, les juges pardonneront plus volontiers l’excès que l’absence de zèle.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°233 du 17 mars 2006, avec le titre suivant : Les antiquaires face au blanchiment

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