Fantasmes

L’érotisme glacial de Bellmer

Le Journal des Arts

Le 17 mars 2006 - 443 mots

L’œuvre subversif et dérangeant de l’artiste se dévoile en dessins, photographies et poupées au Centre Pompidou.

 PARIS - De Hans Bellmer (1902-1975) sont connus avant tout ses photographies et ses objets. L’artiste est pourtant un grand dessinateur, jusqu’à l’obsession, au regard de cette exposition du Centre Pompidou qui met en exergue une production graphique foisonnante.
Qu’il use de la photographie, de l’écriture, de la gravure ou du dessin, Bellmer traite inlassablement du corps, celui de poupées qu’il fabrique et démembre, remembre, brise, en leur donnant tour à tour un caractère fragile, désenchanté, vicieux.
Après une période – au cours des années 1920 – dans l’esprit de Dada et une série de portraits dans la veine de la Nouvelle Objectivité (Bellmer se lie d’amitié avec Georg Grosz), l’artiste crée sa première poupée en 1934, après avoir décidé, à l’avènement de Hitler en 1933, de « cesser tout travail socialement utile ». Ses idées subversives séduisent alors les surréalistes, André Breton en tête, qui voit dans ces images d’un inconscient trouble et ambigu l’illustration parfaite de ce qu’il nomme « la beauté convulsive ».
Jusqu’à son suicide en 1975, Hans Bellmer fera de l’amour et du désir, de la mort, de l’enfance et du jeu ses thèmes de prédilection. Mannequin aux membres disloqués, la poupée est, selon Bellmer, « une fille artificielle aux multiples possibilités anatomiques, capable de rephysiologiser les vertiges de la passion, jusqu’à inventer des désirs ». L’artiste propose une géographie réinventée du corps. Femmes-phallus, figures imbriquées, visages apparaissant dans un sein ou une fesse, femmes et fillettes ficelées habitent des œuvres défiant toute moralité.
Bellmer maîtrise parfaitement les techniques du dessin. Aussi brutales ou dérangeantes soient-elles, les scènes sont dessinées avec une précision d’anatomiste et une remarquable finesse de trait. Son savoir-faire, mis au service d’un imaginaire prolifique, donne sur le papier autant qu’en trois dimensions la mesure de ses rêves, de ses désirs et de ses fantasmes.
Chronologique, l’exposition de la galerie d’art graphique se déploie néanmoins sur un mode volontairement labyrinthique, ménageant de multiples échappatoires et ouvertures. Le corpus d’œuvres est dense, et le principe d’accumulation permet de se plonger au cœur de l’univers de l’artiste. Certaines œuvres pourront déstabiliser, notamment les derniers dessins mettant en scène de très jeunes filles (Le Travail de la famille laborieuse, 1962). Le visiteur ne ressortira en tout cas pas indemne de ce voyage singulier à l’érotisme glacial, souvent glauque, toujours captivant. Âmes sensibles s’abstenir…

HANS BELLMER, ANATOMIE DU DÉSIR

Jusqu’au 22 mai, Centre Pompidou, galerie d’art graphiques, niv. 4, place Georges-Pompidou, 75004 Paris, tlj sauf mardi 11h-21h, tél. 01 44 78 12 33. Catalogue, coéd. Centre Pompidou/Gallimard, 260 p., 400 ill., 39,90 euros, ISBN 2-07-01-1841-X.

Bellmer

- Commissaires : Agnès de la Beaumelle et Alain Sayag - Scénographie : Julie Boidin - Nombre d’œuvres : 250 - Superficie de l’exposition : 600 m2

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°233 du 17 mars 2006, avec le titre suivant : L’érotisme glacial de Bellmer

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