Rapport

Chefs-d’œuvre en péril

Le Journal des Arts

Le 17 mars 2006 - 956 mots

Une étude dénonce l’état déplorable et les conditions de conservation inadaptées des collections des bibliothèques et musées américains.

New York - Selon l’étude la plus complète qui ait jamais été menée aux États-Unis sur les ensembles publics et privés d’œuvres d’art, d’objets et de documents, les musées américains conserveraient très mal leurs collections.
L’indicateur de l’état du patrimoine (Heritage Health Index) a été établi au cours des années 2004 et 2005 par le Heritage Preservation de Washington, un groupe spécialisé dans la conservation, en partenariat avec un service fédéral, l’Institute for Museum and Library Services, et à l’aide de subventions venant de la Getty Foundation. Y ont participé plus de 3 200 établissements : musées à but non lucratif, bibliothèques, sociétés savantes, services d’archives, organisations scientifiques et universitaires dont 40 % de bibliothèques et 6 % de musées d’art.
Les statistiques établies par cette étude se révèlent inquiétantes et soulèvent des interrogations sur les priorités que se donnent les institutions du pays. Les musées se sont en effet toujours concentrés sur leur développement et celui de leurs collections, au détriment, semble-t-il, de la conservation de leur patrimoine.
Le rapport conclut que des millions d’objets auraient besoin de traitements immédiats, dont 4,7 millions d’œuvres d’art, 13,5 d’objets historiques, 153 de photographies, 189 de spécimens d’histoire naturelle et 270 d’imprimés rares ou uniques.

Peintures menacées
Un demi-million d’œuvres d’art sur papier, 475 000 tissus et 95 000 pièces historiques de mobilier sont à restaurer. Les peintures apparaissent comme les plus menacées, 7 % d’entre elles exigeant des interventions d’urgence pour pouvoir être exposées. Étonnamment, les musées reconnaissent qu’ils ignorent l’état de conservation de 29 % des œuvres d’art en leur possession.
Bien que seulement 24 % des 13 590 institutions contactées aient répondu, 90 % des 500 collections les plus riches et les plus importantes ont participé à cette campagne d’étude, dont la Smithsonian Institution, les Archives nationales, la bibliothèque du Congrès, le Museum of Modern Art à New York, le Metropolitan Museum of Art à New York, la New York Public Library, les bibliothèques et musées d’art de l’Université de Harvard, l’Art Institute of Chicago, le Los Angeles County Museum of Art, et le Getty Museum.

Aucun plan d’urgence
Les mauvaises conditions de stockage constituent le problème majeur : 59 % des institutions ne disposent pas de la place nécessaire, 33 % ont besoin d’améliorations urgentes, et 65 % déclarent que des dommages sont dus à un stockage inapproprié de leurs collections. De plus, 25 % des établissements manquent de systèmes de contrôle de l’atmosphère, ce qui expose leurs collections aux variations de température, d’hygrométrie et de luminosité. Plus de la moitié reconnaît que leurs fonds ont été détériorés par l’humidité, et presque autant, par un excès de lumière.
Une étude menée l’été dernier par les services comptables fédéraux, l’US General Accounting Office, révélait déjà que les installations vieillissantes de la Smithsonian réclamaient une mise aux normes évaluée à des milliards de dollars. Si des précautions de fortune comme l’emballage d’objets à l’aide de films plastique pouvaient empêcher ou ralentir leur dégradation, le maintien de la température et de l’hygrométrie souhaitables restait un « problème omniprésent » dans certains bâtiments.
Il est particulièrement notable, après le passage du cyclone Katrina, que 80 % des institutions étudiées concèdent n’avoir aucun plan d’urgence, laissant ainsi 2,6 milliards d’objets à la merci des catastrophes naturelles. Et seules 26 % des institutions conservent en d’autres lieux une copie de leurs inventaires dans le cas où les originaux seraient détruits. Le document cite l’inondation qui a ravagé en 2004 les réserves du New Mexico Museum of Indian Arts and Culture à Santa Fe, où l’explosion d’une conduite d’eau avait touché 1 400 caisses avant d’être détectée. La même année, une crue avait envahi la Hamilton Library de l’Université d’Hawaï à Manoa, détruisant 110 000 cartes. Beaucoup de documents rares furent cependant sauvés grâce au plan d’urgence dont disposait cette bibliothèque.

Cri d’alarme
Une autre carence significative dans la sauvegarde des collections américaines concerne les personnels et les moyens engagés, puisque 80 % des institutions n’ont aucun salarié attaché à la conservation des objets, 70 % d’entre elle ne disposent pas d’estimations actualisées de leurs collections, et 39 % sont dépourvues d’inventaires actualisés, dont environ 30 % de pièces sont dans un état de conservation inconnu.
Si les mesures de précaution sont largement moins coûteuses que les restaurations, les institutions n’ont consacré que 2 % de leur budget à la préservation lors de la dernière année fiscale, et 75 % d’entre elles n’y dédient aucune ligne budgétaire particulière. Le rapport met aussi en évidence une sécurité insuffisante pour la plupart d’entre elles, et, pour 25 %, l’absence totale de protection.
« L’étude a été menée durant l’une des plus grandes vagues de construction et d’extension des musées qu’aient connues les États-Unis », commente le président de Heritage Preservation, Lawrence L. Reger. « Les résultats révèlent qu’il nous reste beaucoup de chemin à faire pour fournir des abris sûrs aux collections, et pas seulement dans les musées, mais aussi dans les bibliothèques, les sociétés savantes et les autres institutions qui possèdent des collections. Lorsque des administrateurs, des hauts fonctionnaires, des dirigeants d’institutions lancent de grands projets, nous les pressons de veiller à ce que les mesures élémentaires exigées par les collections soient effectivement garanties. »
En conclusion, le rapport recommande aux institutions de donner la priorité à la mise en sécurité de leurs collections, de développer des plans d’urgence, d’affecter du personnel spécialisé à la conservation. Enfin, il préconise des aides gouvernementales et privées spécifiques. Est-il possible d’évaluer le montant de ce programme ? L’indicateur du patrimoine n’avance pas d’estimations, mais le rapport est un cri d’alarme invitant institutions et mécènes à ne pas rester inactifs.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°233 du 17 mars 2006, avec le titre suivant : Chefs-d’œuvre en péril

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