Urbanisme

Le tramway remodèle le sud parisien

Le Journal des Arts

Le 29 août 2007 - 909 mots

Le 16 décembre, à Paris, le T3 a été inauguré sur l’ancienne ceinture des Maréchaux. Neuf artistes ponctuent ce parcours de leurs oeuvres, entre le pont du Garigliano et la porte d’Ivry

PARIS - Brillant, silencieux, ponctuel, le tramway revient dans les villes de France. Le retour de ce train urbain, amical et glissant comme un jouet dans les rues encombrées, ne date pas du 16 décembre, inauguration du parcours des Maréchaux à Paris. Grenoble la première puis Strasbourg, Orléans, Nantes, Bordeaux, Lyon ont engagé leur urbanisme sur l’implantation et les contraintes données par le réseau ferré dans la cité.
Pour toutes ces villes, la difficulté consiste à déceler les passages où le rail file en site propre dans un tissu ancien congestionné par les politiques absurdes du tout-voiture. Paris, en retard, subitement bondit, ouvre des voies pour les autobus, bouleverse le trafic, diminue les parkings sur chaussée, offre de meilleures surfaces aux piétons, des garages aux vélos, enfin elle construit un tramway en majesté ayant pour lui seul le luxe de l’espace, la lumière et l’herbe sous les roues.
Le dispositif général avantage le transport public aérien de faible pollution, il contrarie le 4X4 obèse, chromes rutilants et volant noir tenu d’une seule main par la « blonde-téléphonante » pour joindre l’Étoile au « neuf-deux » où elle fait son training anti-cholestérol. Rien n’est parfait, les changements d’axe, les rétrécissements de voies, les chicanes, les contrevoies surprenantes du boulevard Saint-Marcel modifient les habitudes et la fluidité d’autrefois mais, dans l’ensemble, la ville s’en sort, elle satisfait les taxis, les piétons, le motard que je suis… Et surtout, elle a un tramway.

Chemin de ronde
Pas n’importe lequel, un tramway maréchal, au parcours évident, écrivant à nouveau l’histoire de la ville concentrique, celle des limites et des fortifications : chemin de ronde, parcours d’enceinte. On aurait tort cependant d’y voir une clôture, le tram à niveau partout dans les villes laisse croiser les flux transversaux sans difficulté. On dirait même que sa présence, par une curieuse combinaison d’aménagements figés et de transparence, lubrifie le trafic et l’adoucit. La vraie barrière se situe alentour, un peu plus loin du coeur, là où le « périph » transforme les humains en mange-bitume et se congèle en bloc aux heures de pointe, fermant la ville à ceux qui prétendent entrer ou sortir. Partout où le tramway s’est installé, on a dû repenser la ville. L’urbanisme revisité par les questions d’espace et d’aspect propose des solutions nouvelles. Un langage-tram naît avec Alexandre Chemetoff à Saint- Denis, Alfred Peter à Strasbourg, Michel Desvigne à Paris, bientôt Marc Barani à Nice. L’aménité urbaine n’est plus considérée comme un verdissement des artères – l’arbre venant s’ajouter après coup à la voirie – mais comme un appareil liant la fonction, le transport, le design et la nature dans un ensemble cohérent : un paysage. Le tramway n’est pas un moyen de transport urbain, c’est une philosophie de ville.
Un fait nouveau modifie le statut des deux derniers projets en cours – Paris, Nice : la ville invite les artistes à ponctuer le parcours de leurs oeuvres.
Ponctuation… Valeur ajoutée. Un plus à la plèbe, brioche faute de pain. Exception, amusement des riches, bibelot sur la commode. Où est le projet artistique ?

Une main tendue
L’idée, généreuse et nécessaire, qui consiste à redonner une place aux artistes dans la combinatoire urbaine, est tout à l’honneur des initiateurs du projet. Jamais autant qu’aujourd’hui la société, laminée par une mondialisation de la pensée, ne s’est trouvée en si grand manque de vision. Mais les moyens de transformer le regard ne sont pas donnés, ou alors à reculons, par minuscules injections : épices saupoudrant la terrine des certitudes, les rassurants modèles. L’oeuvre ici est toute entière tenue par le tramway lui-même, le parcours, la dimension urbaine et sociale, le souffle tendu d’un boulevard autrefois chaotique maintenant apaisé, la progression splendide et silencieuse, l’espèce de mystère qui anime l’objet si près du sol, la transparence, la presque lévitation. Les oeuvres que l’« oeuvre » rencontre apparaissent comme autant d’anecdotes, possiblement divertissantes. Aucune ne prend le risque de questionner la ville à l’échelle de la ville, car aucune ne bénéficie du territoire qui permettrait de le faire. Que serait un tramway traversant les lumières de James Turrel, dont chaque arrêt dessiné par Frank O. Gerhy diffuserait les déclarations amoureuses de Boltanski, dont le parcours chahuté par Adel Abdessemed viendrait à la rencontre – en lieu et place de pubs exaspérées – des images saisissantes, sans cesse renouvelées de Thierry Fontaine ? Je livre là un point de vue de paysagiste, celui dont le regard englobe l’espace pour mieux s’en étonner.  Je ne connais pas l’avis des artistes, peut-être ontils quelque chose à dire sur la dimension de leur art ?
Dans ce travail hardi qu’est l’installation d’un tramway dans une ville assise, il manque la dimension expérimentale, l’appel aux esprits neufs, inexpérimentés justement, la prise de risque sans cesse à l’oeuvre dans les mécanismes de l’évolution. Mais peut-être s’agit-il d’un essai – une main tendue, pourquoi la refuser ? – vers ce monde en dévers, constamment minoré, sans lequel la société arasée et raidie sécherait sur pied, ce monde éclairé et confus, plein de courage et de rêve engagé, immense, inépuisable, rangé sous un nom minuscule : l’art.

Neuf artistes pour le tramway parisien

Christian Boltanski, Angela Bulloch, Sophie Calle, Frank O. Gerhy, Didier Fiuza Faustino, Dan Graham, Peter Kogler, Bertrand Lavier, Claude Lévêque

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°250 du 5 janvier 2007, avec le titre suivant : Le tramway remodèle le sud parisien

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