Rétrospective

Identité visuelle

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 14 avril 2006 - 552 mots

Au Carré d’Art, à Nîmes, Markus Raetz revient sur une trentaine d’années de travail où toujours point la fascination pour le langage et les phénomènes de la vision.

 NÎMES - C’est une banale plaque de zinc découpée en deux cercles joints, redessinant la forme qui encadre le motif observé à travers une paire de jumelles. Légèrement pliée vers l’arrière, sur son axe horizontal, l’œuvre donne au visiteur pénétrant dans la salle l’illusion du paysage peint, presque de la vue marine, perdue sur le fil de l’horizon. Il n’est pourtant point de peinture ici, juste du métal poli.
Zeemansblik [Vue/tôle du marin] (1985-87) concentre avec une simplicité absolue la recherche constante de Markus Raetz quant aux modes d’observation, à la sincérité et à la sagacité du regard. Cet artiste que les phénomènes de la vision passionnent et que les conditions d’observation interrogent sans cesse fait l’objet d’une rétrospective au Carré d’Art à Nîmes. Ainsi un petit œil en bois, d’où s’échappe un cône au bout duquel est peint un micropaysage, retient-il l’attention (Eye Cone, 1986-89). Le faisceau oculaire se trouve à un autre endroit, décomposé au mur, avec des branchages (Seeblick II [Vue de la mer II], 1981-85). Ou bien c’est le geste lui-même de l’observation qui est mis en avant, ainsi avec ce petit personnage en fonte muni de jumelles pour observer au loin (Fernsicht [Vue lointaine], 1987). Ailleurs, ce sont de fins rameaux de bruyère accrochés au mur qui dessinent des corps féminins.
Comme si, avec ce vocabulaire fécond et cette boulimie de formes, l’artiste s’était fixé pour mission, bien plus que l’observation, la décomposition des possibilités du regard, l’étude de toutes les occurrences. Cette dernière est d’ailleurs au centre de sa démarche. Nombre de carnets et de dessins, jusque-là jamais sortis de l’atelier, constituent l’un des grands attraits de cette exposition, où l’on constate que des idées de sculptures ou d’installations sont en gestation parfois pendant plusieurs décennies avant leur réalisation effective. Y est également perceptible l’aspect précis et méticuleux de ses recherches, comme dans un assemblage de vingt-quatre dessins où sont déployées, sur des quadrillages identiques, toutes les possibilités de combinaison et de mise en espace des deux mots « hier » et « dort » (Ici ou là ; 24 possibilités de positionnement pour quatre sculptures de lettres, 1996).
Les jeux de métamorphoses et d’anamorphoses constituent au demeurant une bonne part de la présentation, où le spectateur a fort à faire, se mouvant littéralement dans tous les sens face à des sculptures qui changent de forme, et donc d’identité, en fonction du point de vue adopté. « Tout » devient « rien » (Tout-Rien, 1996), « ceci » se change en « cela » dans un miroir (Ceci-Cela, 1992-93), un verre et une bouteille échangent formes et échelles en l’espace d’un quart de tour (Gross und klein [Grand et petit], 1992-1993)…
Jouer avec le regard et des dispositifs d’une apparente simplicité n’est, pour Markus Raetz, pas qu’un simple discours formel. Tout à leur complexité d’effets et de lecture, ses œuvres actualisent une série d’interrogations quant à l’identité. Une ambition qui ne les rend que plus fascinantes.

Markus Raetz

Jusqu’au 7 mai, Carré d’Art, place de la Maison-Carrée, 30000 Nîmes, tél. 04 66 76 35 80, tlj sauf lundi 10h-18h. Catalogue, éd. Actes Sud/Carré d’Art, 128 p., 100 ill., ISBN 2-7427-5975-1

Markus Raetz

- Commissaire de l’exposition : Françoise Cohen - Nombre d’œuvres : 239

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°235 du 14 avril 2006, avec le titre suivant : Identité visuelle

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