Tokyo

Le gouverneur ne fait pas de quartier

Par Philippe Régnier · Le Journal des Arts

Le 28 avril 2006 - 576 mots

Scandale lors de l’inauguration de l’exposition de la Fondation Cartier.

 TOKYO - Au Musée d’art contemporain de Tokyo, au Japon, a été inaugurée le 19 avril une importante exposition de la collection de la Fondation Cartier pour l’art contemporain (lire p. 4). Près de cinquante œuvres, pour la plupart monumentales, occupent 4 000 m2 de ce bâtiment moderne ouvert en 1995 au nord du parc Kiba. La fête a pourtant été troublée par le discours de Shintaro Ishihara, gouverneur de la préfecture de Tokyo. Face à près de deux mille invités, artistes et professionnels réunis dans le hall du musée, devant une porte qui allait quelques minutes plus tard coulisser pour laisser
entrer le flot des visiteurs, il a notamment qualifié l’art contemporain de « nul » et a déclaré en substance que la culture japonaise était supérieure à la culture occidentale. Parmi le public, ce fut la stupeur. Prenant à leur tour la parole, Bernard Fornas, président de Cartier international, et Hervé Chandès, directeur de la Fondation Cartier pour l’art contemporain, ont préféré ne pas réagir aux propos qui venaient d’être tenus – Hervé Chandès soulignant de son côté les liens étroits qui unissent depuis longtemps la Fondation au Japon et aux artistes japonais.

« Message d’inspiration »
Shintaro Ishihara n’en est pas à sa première incartade. Cet homme politique de droite est connu pour son franc-parler, et son discours populiste dépasse souvent la ligne blanche. En 2004, la transformation de l’Université métropolitaine de Tokyo en Université de la capitale de Tokyo s’est accompagnée de la réunion des sections de langues étrangères dans une filière de « Langue internationale », aboutissant à la suppression des départements universitaires de langue française et de langue allemande. Face à l’opposition des enseignants concernés, Shintaro Ishihara avait alors déclaré : « Le français est une langue inapte au calcul, il est tout à fait normal qu’elle soit disqualifiée comme langue internationale », faisant allusion à la façon dont est prononcé en France le nombre « 70 » (« soixante-dix »). Si Bernard de Montferrand, à l’époque ambassadeur de France au Japon, avait écrit sur son blog « des propos ont été prêtés au gouverneur de Tokyo sur le français. Je ne souhaite en aucune façon engager une polémique », Malik Berkane, directeur d’une école privée de langue à Tokyo, avait alors saisi la justice. Le procès est toujours en cours et une audience avait lieu le 21 avril, deux jours après le discours prononcé au musée…
Pourtant, Shintaro Ishihara connaît bien la culture de notre pays. Lui-même romancier et scénariste à succès, il a étudié la littérature française, et notamment l’œuvre de Jean-Paul Sartre. Il voue une passion pour les dadaïstes français. En 1962, il avait aussi signé un épisode du film L’Amour à 20 ans, aux côtés de François Truffaut, Marcel Ophuls, Renzo Rossellini et Andrzej Wajda. Enfin, et ce n’est peut-être pas anodin, Shintaro Ishihara se pique également d’être artiste. En juillet 2000, le gouverneur avait exposé ses œuvres de jeunesse au Hillside Forum de Shibuya, un quartier de Tokyo. Organisé par Masako Aoyama, responsable de l’Aoyama Art Consultancy, l’événement avait pour parrains le peintre américain Frank Stella et l’un des plus éminents critiques d’art japonais, Fumio Nanjo. Assez curieusement, ces dessins proches de dada comprenaient un grand nombre d’inscriptions… en français. Selon la commissaire, Masako Aoyama, « M. Ishihara voulait en faisant cette exposition adresser un message d’inspiration aux jeunes ». On se demande bien lequel !

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°236 du 28 avril 2006, avec le titre suivant : Le gouverneur ne fait pas de quartier

Tous les articles dans Actualités

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque