Cinéma

RENCONTRE

Charles de Meaux l’aventurier de l’art

Par Anne-Cécile Sanchez · Le Journal des Arts

Le 13 décembre 2017 - 1195 mots

Jockey, cinéaste, voyageur, l’artiste protéiforme poursuit entre performance et productions cinématographiques, son itinéraire exigeant. Son dernier film « Portrait interdit » sort en salles fin décembre.

Paris. Comment passe-t-on des champs de course au monde de l’art, puis au grand écran ? Comment s’empare-t-on d’une caméra et pourquoi aller la poser, d’abord, aux confins de la Russie, de la Chine et de l’Afghanistan ? Si on pose ces questions à Charles de Meaux, jockey pendant plus de dix ans avant de se faire connaître comme artiste, cinéaste et producteur, il répond que la vie est faite de hasard, de rencontres et d’opportunités. Ajoutons le goût de l’altérité - et du risque -, mais aussi d’une envie de partager sa façon de voir et de sentir le monde.

Pour y parvenir, il lui a fallu un sens de la débrouille qui confine au génie afin de se connecter, très vite, avec les bonnes personnes : Nicolas Bourriaud, rencontré dans un dîner en 1989, va faire le lien. « Je l’ai introduit parmi mes amis du monde de l’art, Philippe Parreno, Dominique Gonzalez Foerster, Pierre Huyghe, mais aussi M/M, ou Edouard Merino et Florence Bonnefous d’Air de Paris, détaille l’auteur de l’Esthétique relationnelle. Il ne faut pas mésestimer l’influence que Charles a eue sur cette génération d’artistes : il leur a apporté sa culture cinématographique, une vraie réflexion sur l’image et le plan, ainsi que son savoir-faire de producteur et de cinéaste, qui a abouti à la création d’Anna Sanders Films avec Le Consortium de Dijon. Il était le “Monsieur cinéma” de la bande. »

C’est avec Philippe Parreno, futur chef de file d’une génération en rupture avec un certain formalisme, que Charles de Meaux écrit son premier long métrage, Le Pont du trieur. « Quand nous nous sommes rencontrés, au début des années 1990, nous étions tous les deux un peu dans la dèche, nous partagions les mêmes galères de logement, confie Parreno. Charles a emménagé avec moi lorsque j’ai eu la chance d’avoir un atelier. Puis il s’est installé rue de Bretagne à Paris, où il m’a hébergé. On discutait beaucoup, du rapport à la fiction et de ce que cela signifiait de raconter une histoire aujourd’hui… »

Entre documentaire et flânerie au Pamir, un pays au bord de la guerre civile après l’effondrement de l’URSS, Le Pont du trieur part du constat du manque d’images en provenance de cette région du globe. « Grâce aux avancées technologiques, il était devenu possible de fabriquer un film sans être un professionnel. Forcément, c’était tentant », résume Charles de Meaux. Avant d’hésiter entre l’anecdote de baroudeur - « là-bas, j’ai croisé des soldats russes pieds nus, chaussures lacées autour du cou, lunettes de soleil rafistolées, le ventre vide » - et l’ellipse modeste, passant presque sous silence la difficulté à se rendre sur place, mais aussi l’apprentissage nécessaire pour être capable d’assurer seul le tournage et la prise de son.

« Do it yourself » semble sa devise, version post-moderne de « aide-toi, le ciel t’aidera ». Héritage de sa culture familiale ? Cet aventurier, au sens noble du terme, demeure discret sur sa lignée, préférant de toute façon s’inventer de nouvelles parentés, sous le signe de l’ailleurs, du lointain. « Un nomade », estime Nicolas Bourriaud. Un cosmopolite, en tout cas, qui se sent partout chez lui, vivant ces dernières années entre Bangkok et Paris.

Une incroyable maîtrise technique du son et de l’image
Très tôt, il se rend en Asie, quand « la Chine était un peu comme les États-Unis vers 1800 : un mélange chaotique d’effervescence, d’ébullition et de violence. Mais aussi un pays généreux, un endroit de plaisirs ». Il séjourne sur l’île de Macao ; plus tard, il y résidera deux mois par an, avant d’y camper son deuxième film de fiction, Stretch, l’histoire d’un jockey parisien propulsé dans un monde hippique hyper brutal, régi par la mafia chinoise. On ne sait quelle est la part autobiographique de ce récit. Mais des courses d’obstacles - métaphore de l’existence ? - il a, il en convient volontiers, « gardé des nerfs solides ». Et la conviction que le jeu épouse une nécessité existentielle, la seule liberté qui vaille consistant à « lancer les dés chaque jour et à affronter son destin ». En jockey mallarméen, Charles de Meaux a donc choisi, une fois remisée sa cravache, plutôt que « d’ouvrir un bar », d’arpenter le territoire de l’art.

Son exploration prend d’abord la forme d’installations sonores : il continue aujourd’hui de répondre à des commandes ou de proposer lui-même des projets. Artiste invité de l’exposition universelle de Yeosu en Corée du Sud (2012), il y a occupé l’espace avec six « paysages » de mer déployés sur un parcours de 60 mètres de long. « J’ai repris et développé une technique de composition sonore en relief utilisée par Xenakis », explique t-il. Prouesse qu’il relativise aussitôt : « Je suis comme un peintre qui peindrait la baie de Cancale, mais avec des sons ». Ces installations, comme celle de son Train fantôme imaginé en 2014 pour le Nouveau Festival du Centre Pompidou, illustrent cependant une expertise totalement originale. « Il s’est donné les moyens de développer une incroyable maîtrise technique du son et de l’image, pour la mettre au service d’une forme, souligne Franck Gautherot du Consortium. Et cela, même dans des conditions d’exposition très difficiles, comme en Corée ou dans l’espace du forum à Beaubourg. »

Ces performances lui offrent des respirations sur un chemin soumis au rythme « lent et lourd » de la fabrication d’un film, de l’écriture du scénario à la recherche de financement, une étape qui le passionne parce qu’elle ancre son travail dans la réalité. Cette même réalité a pourtant mis à mal les stratégies collaboratives à l’origine de la société de production Anna Sanders Films ; celle-ci produit tous les films de Apichatpong Weerasethakul (Palme d’or à Cannes en 2010 avec Oncle Boonmee), mais leurs trajectoires individuelles ont éloigné les associés d’origine. Sans accrocs apparents : « Charles reste pour moi comme un frère », affirme Philippe Parreno, qui, entre deux voyages, reconnaît néanmoins ne pas avoir pu assister à l’avant-première de Portrait interdit. Cet opus est sans doute le plus abouti de la filmographie de Charles de Meaux. L’intrigue, apparemment simple, lui en a été inspirée par le portrait d’une impératrice chinoise, signé d’un frère jésuite, conservé au musée de Dôle. Film en costumes tourné en Chine, avec dans les rôles principaux la star Fan Bingbing et l’acteur français Melvil Poupaud, c’est un fascinant poème visuel nourri d’une recherche historique patiente, d’incommunicabilité avec le staff chinois et, de son propre aveu, d’accès de désespoir de son équipe. Son premier film grand public ? Le magazine hollywoodien Variety l’a comparé au Barry Lyndon de Stanley Kubrick. C’est plutôt de bon augure.

 

1967
Naissance à Istanbul.
1997
Fonde la société de production Anna Sanders Films avec Philippe Parreno, Pierre Huyghe, Dominique Gonzales-Foerster ainsi que Xavier Douroux et Franck Gautherot du Consortium de Dijon.
2000
Le Pont du trieur, premier long-métrage coécrit avec Philippe Parreno.
20 décembre 2017
Sortie en salles de son nouveau film, Le Portrait interdit.

 

Légende photo

Charles de Meaux © Photo : Ph. Migeat / CP

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°491 du 15 décembre 2017, avec le titre suivant : Charles de Meaux l’aventurier de l’art

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