DU MOYEN ÂGE À NOS JOURS

« Monochrome » en demi-teinte

Par Magali Lesauvage · Le Journal des Arts

Le 29 novembre 2017 - 525 mots

En dépit des chefs-d’œuvre, la présentation de la National Gallery de Londres consacrée à la peinture monochrome laisse le visiteur sur sa faim.

Londres. Il est un phénomène visuel, sensible lorsqu’on passe de la couleur au noir et blanc, celui de la perte de volume. Cet effet saute aux yeux du spectateur qui pénètre dans l’installation Room for one color d’Olafur Eliasson, en fin de parcours de l’exposition « Monochrome, Painting in Black and White » à la National Gallery de Londres. L’œuvre plonge les visiteurs dans une lumière jaune monofréquence obtenue par des lampes à sodium, formant un ballet d’ombres grisâtres.

Débutant cinq siècles plus tôt avec l’extraordinaire diptyque de L’Annonciation par Jan Van Eyck (Musée Thyssen-Bornemisza, Madrid), l’exposition a tendance elle aussi à aplatir quelque peu son sujet, celui de la peinture monochrome (et pas seulement en noir et blanc, contrairement à ce qu’indique son sous-titre). Sujet qui aurait mérité de plus amples développements théoriques, en particulier dans sa dernière partie, assez pauvre, consacrée aux périodes moderne et contemporaine. Avant cela, le musée britannique (qui a travaillé en collaboration avec le Stiftung Museum Kunstpalast de Düsseldorf où l’exposition partira au printemps) aligne les chefs-d’œuvre, regroupés par catégories conceptuelles.

Si par définition le dessin est monochrome depuis ses origines, la volonté délibérée d’éliminer la couleur remonterait dans l’art occidental au Moyen Âge et aurait des raisons religieuses : l’ascétisme et la nécessité de dissocier l’espace sacré du champ profane. Ainsi dans le triptyque Donne de Hans Memling, conservé à la National Gallery, les saints peints sur l’extérieur des panneaux sont-il représentés dans des variations de gris qui les situent d’emblée dans un espace atemporel. Plus tard, avec le développement de la gravure, la grisaille devient un véritable marché qui prend son expansion au XVIe siècle avec des artistes comme Barocci ou Mantegna, et se poursuit jusqu’au XIXe : la Grande Odalisque d’Ingres, dépourvue de ses couleurs et de ses accessoires, apparaît plus abstraite et irréelle. À ce stade l’accrochage passe sans véritable justification à l’époque moderne, avec un autoportrait grisé de Giacometti et les Ménines (infante Margarita María) de Picasso – quand une évocation de Guernica, métaphore de la terreur évacuant la couleur, eût semblé plus appropriée.

Rivalité entre disciplines
Dans un périlleux flashback, la salle suivante évoque la rivalité entre peinture et sculpture, avant de voir dans le monochrome une tentative de résolution : ainsi Titien inclut-il dans le portrait de La Schiavona un profil en médaille du même modèle. Puis on revient au rapport entre peinture et gravure avec les « peintures au crayon » d’Hendrick Goltzius, dont le grand Cérès et Bacchus de l’Ermitage (Saint-Pétersbourg) imite à s’y méprendre le burin, ou les monochromes terreux de Rembrandt.

Sans transition, le débat entre peinture et photographie est rapidement rappelé avec la Grande Vague de Le Gray sur papier albuminé et une toile noir et blanc sur le même thème de Peder Balke. L’exposition s’achève sur le Carré noir de Malevitch, entouré des incontournables de l’abstraction (Bridget Riley, Ellsworth Kelly, Frank Stella), auxquels manque cependant Pierre Soulages, grand maître de la lumière noire.

Monochrome, Painting in Black and White,
jusqu’au 18 février 2018, National Gallery, Trafalgar Square, Londres.
Légende photo

Olafur Eliasson, Room for one colour, 1997 | Courtesy Tanya Bonakdar Gallery, New York ; neugerriemschneider, Berlin © Photo : Anders Sune Berg

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°490 du 1 décembre 2017, avec le titre suivant : « Monochrome » en demi-teinte

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