ART CONTEMPORAIN

Fred Deux, la traversée du corps

Par Itzhak Goldberg · Le Journal des Arts

Le 29 novembre 2017 - 543 mots

L’obsession de l’artiste pour l’organique et le viscéral en dessin est mis en valeur dans la rétrospective majeure que lui consacre le Musée de Lyon.

Lyon. Le titre de l’exposition, « Le monde de Fred Deux », n’a rien de gratuit. Rares, en effet, sont les artistes à avoir construit un univers aussi singulier. Rares également sont les œuvres à pouvoir bouleverser mais aussi créer un malaise comme celles présentées actuellement au Musée des beaux-arts de Lyon. C’est que ces dessins et ces taches, ces griffonnages fébriles, donnent l’impression de relever non d’une recherche esthétique d’une nécessité vitale, à peine contrôlable.

La rétrospective de Fred Deux (1924-2015), de loin l’exposition la plus importante à ce jour consacrée à ce créateur, permet de suivre sur un mode chronologique l’évolution étonnante de cet autodidacte. Pour l’homme, qui vient d’un milieu ouvrier, tout commence par une « révélation », celle de l’œuvre de Paul Klee, qui donne lieu à une véritable « kleepathologie », ainsi qu’est surnommée parfois cette première période – on a vu de pires troubles. Les premiers travaux sont en effet des dessins d’une extrême délicatesse, des constructions graphiques légères et flottantes. Rapidement toutefois, la tache fait son entrée. Certes, Deux est loin d’être le seul à faire appel à ce procédé, utilisé parmi d’autres par les surréalistes et pour lequel on invente une appellation spécifique dans la France d’après guerre : le « tachisme ». Toutefois, avec ces travaux, réalisés à la gouache, à l’encre de Chine mais aussi à la laque pour bicyclette, l’artiste acquiert une liberté plastique, donnant lieu à des formes molles qui s’étirent et renoncent à la ressemblance. Le flou et la transparence de ces constellations indécises et insaisissables deviennent des traits marquants dans la pratique de Deux, même lorsque, par la suite, il revient au dessin. Il faudra attendre les années 1990 pour retrouver des taches, parfois bariolées d’éclatantes couleurs.

Mais taches ou lignes, l’ensemble se caractérise par son côté organique. Les viscères, les organes, les cellules qui, disloquées, prolifèrent et échappent à toute fonction descriptive, forment une carte anatomique du chaos. Comme chez Bellmer, dont Deux connaît les gravures par l’entremise de sa femme, Cécile Reims, cette enveloppe qu’est la peau n’est plus imperméable et permet d’exhiber à la fois le dehors et le dedans. Toutefois, à la différence de l’artiste allemand, les corps ici se situent plutôt du côté de Thanatos que d’Eros. Les souvenirs de la guerre – voir la série « Otages » – ou ceux de la Shoah hantent ces figures. Le désir cède souvent la place à l’horreur. Cette présence trouve une expression terrible dans le livre mythique La Gana, écrit en 1957, sous le pseudonyme de Jean Douassot, et également dans l’enregistrement du récit de sa vie, que l’on peut écouter au musée.

L’accrochage, souple et élégant, invite le visiteur à faire des rapprochements entre les différentes périodes qui partagent néanmoins cette même obsession que rien ne peut mieux résumer qu’une phrase de Michaux, poète et écrivain, membre de la même famille artistique : « Je bute contre le volume des corps, contre le “dehors” des vivants, cette enveloppe qui me les intercepte et intercepte leur intérieur qu’en vain j’essaie de me représenter. » 

Le monde de Fred Deux,
jusqu’au 8 janvier 2018, Musée des beaux-arts, 20, place des Terreaux, 69001 Lyon.
Légende photo

Fred Deux, Sans titre, 1960, encre de Chine sur toile, 94 x 72 cm, collection particulière © Photo : Patrice Bouvier

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°490 du 1 décembre 2017, avec le titre suivant : Fred Deux, la traversée du corps

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