Art contemporain

APRÈS GUERRE

Mitchell/Riopelle, affinités électives

Par Itzhak Goldberg · Le Journal des Arts

Le 15 novembre 2017 - 487 mots

QUEBEC

Le Musée du Québec réunit le couple que les deux artistes formèrent, pour un dialogue instructif sur leur peinture.

Québec. Que le Musée national des beaux-arts du Québec, qui possède une collection unique de tableaux de Jean Paul Riopelle (1923-2002), veuille montrer l’œuvre de véritable monument national, rien de plus naturel. Plus étonnant est le projet, dont le musée annonce fièrement avoir la primauté, de mettre en parallèle les trajets de Riopelle et de Joan Mitchell (1925-1992), les deux artistes ayant formé un couple durant presque vingt-cinq ans – de 1955 à 1979. Un couple plutôt remuant, selon le très exhaustif catalogue. Outre les difficultés relationnelles, l’un et l’autre retournaient périodiquement dans leurs pays respectifs, le Canada et les États-Unis, et se retrouvaient essentiellement à Paris ou à Vétheuil (Val-d’Oise).

Grâce à leurs origines différentes et à ces allers-retours, chacun développe le caractère personnel de sa pratique picturale. Au sujet de Joan Mitchell, assimilée à la seconde génération de l’expressionnisme abstrait, on évoque Arshile Gorky et Willem de Kooning comme sources d’inspiration principales. Mais une œuvre de Mitchell (Sans titre, 1951), organisée à l’aide de surfaces colorées, de taches qui semblent flotter à la surface, n’est pas éloignée de la période « Multiformes » de Rothko.
 

Pâte épaisse contre fluidité

Avec Riopelle, les références se bousculent. Automatisme, qu’il pratique à ses débuts à Montréal. Puis, comme souvent avec les membres plus ou moins affirmés de la seconde école de Paris, surréalisme, abstraction lyrique, tachisme ou sa version, volontaire ou non, de dripping, pratique qualifiée d’« égoutture dirigée ».

Peut-on alors parler de véritable proximité esthétique entre les deux artistes ? Le prologue de l’exposition – un bref rappel des activités de Mitchell et de Riopelle avant 1955 – montre que leur principal point commun est l’abstraction, une abstraction dotée d’une grande richesse chromatique. Le parcours alterne ensuite leurs travaux, fait voir leur appartenance à cette famille à laquelle pourrait s’ajouter Sam Francis, un autre Américain à Paris, mais aussi Georges Mathieu, Zao Wou-ki ou Camille Bryen. Face à la pratique du all over – une surface recouverte bord à bord –, au format monumental des toiles, au choix récurrent du polyptyque, le spectateur a parfois l’impression que les deux peintres avancent dans la même direction. Pourtant, Riopelle garde une pâte épaisse – ce n’est pas un hasard s’il s’adonne également à la sculpture –, et une manière plus énergique, plus structurée, d’étaler la peinture sur la toile (Hommage à Grey Owl, 1970). Chez Mitchell, la matière picturale liquéfiée, fluide, transparente, semble pratiquement couler sur la surface où les tonalités « bavent » les unes sur les autres (Mon paysage, 1967). C’est sous l’influence de ces paysages de rêve que Riopelle va créer de très belles gouaches, d’une extrême légèreté.

En somme, les trajets de ces deux artistes qui entretiennent un dialogue artistique passionnel, mais aussi un rapport de rivalité comme le remarque le philosophe Yves Michaud, se croisent en toute liberté.

 

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°489 du 17 novembre 2017, avec le titre suivant : Mitchell/Riopelle, affinités électives

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