Bande dessinée

Chronique

Vous avez dit « 9e art » ?

Par Pascal Ory · Le Journal des Arts

Le 18 janvier 2018 - 599 mots

MONDE

BD. L’actualité des expositions met en ce moment en vedette René Goscinny, au Musée d’art et d’histoire du judaïsme et à la Cinémathèque française.

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Cette double localisation confirme que le héros est un homme multiple, présent sur plusieurs terrains, mais il est clair que si on s’intéresse autant à lui aujourd’hui, c’est parce qu’il fut d’abord le plus grand scénariste de « BD» de son temps. Il n’y a pas d’« artification », comme dit la sociologie culturelle, il n’y a que des preuves d’artification : aujourd’hui la reconnaissance de la bande dessinée comme art serait donc acquise. Le constat n’est pas inexact, mais il demande à être nuancé.

La promotion est incontestable. Elle suit le chemin et le schéma empruntés par le cinéma, puis la photographie. La BD était pourtant partie de plus bas encore : aussi étonnant que cela puisse paraître, il n’y avait pas, en français, de nom pour la nommer avant les années 1950, où s’impose le terme de « bande dessinée », passé – premier signe de prise en considération – du pluriel au singulier. Jusque-là un dessinateur de BD n’a pas de nom spécifique : il travaille pour des « illustrés ». Quant aux scénaristes, leur identité est plus faible encore. Comme le racontera Goscinny : « Quand j’ai entendu un de mes grands anciens me dire : “Le métier de scénariste ? C’est à la portée du premier imbécile venu’”, j’ai compris que j’avais trouvé ma voie. »

L’émergence de ce trente-sixième dessous est d’autant plus impressionnante : la métaphore du « 9e art » apparaît en effet dès 1964, sous la plume de Claude Beylie. Que Beylie soit connu aujourd’hui comme critique et historien du cinéma dit tout : les premiers « bédéphiles » – qui commencent justement à s’organiser à cette époque – sont souvent aussi des cinéphiles et transfèrent sur la BD la démarche qui a si bien marché pour le « 7e art ». Le milieu porteur de cet activisme culturel est à peu près le même : une avant-garde plus culturelle qu’esthétique avec, dans les années 1960, une forte présence des héritiers du surréalisme, en particulier des fondateurs du Collège de Pataphysique. La décennie 1960 se clôt significativement par la tenue, la même année (1967), à la fois d’une décade de Cerisy, restée fameuse, sur « la paralittérature » et par la première grande exposition artistique ouverte à la BD, « Bande dessinée et figuration narrative », tenue au Musée des arts décoratifs (pas au Musée d’art moderne, tout de même !).

Un demi-siècle après, où en est-on ? D’un côté, la BD semble avoir acquis ses lettres de noblesse. Elle a ses festivals, ses musées, ses subventions publiques, son espace critique. L’auteur de ces lignes a participé il y a cinq ans à la direction d’un ouvrage sur L’Art de la bande dessinée, publié par les prestigieuses éditions Citadelle/Mazenod. Depuis 2005, le Musée du Louvre donne chaque année carte blanche à un bédéaste reconnu. Plus remarquable encore, le XXIe siècle a vu la BD accéder au marché de l’art, avec des chiffres qui imposent le respect aux spéculateurs. Alors, que demande le peuple ?

Eh bien, insatiable, le peuple bédéphile demande plus encore. Il subodore que le recours à la BD reste souvent une stratégie marketing un tantinet condescendante, supposée conquérir de « nouveaux publics » à des formes de culture demeurées plus nobles. Il observe que la BD demeure à l’extérieur de bien des écoles de « beaux-arts ». Et il est bien obligé de constater que s’il y a en France, pays pionnier en matière de légitimation des arts mineurs, des départements d’études cinématographiques, il n’y en a aucune d’études bédéiques… Un « plafond de verre » de plus.

Légende photo

Mur BD Asterix & Obelix de Goscinny et Uderzo - Rue de la Buanderie 33/35 (Washuisstraat 33/35), École maternelle 8/2 "Ville de Bruxelles", Bruxelles - 145 m² - Rélisé par Oreopoulos G., Vandegeerde D., Marcelle Bordier et Koen Weiss - © Ferran Cornellà - 2005 | Licence CC BY-SA 3.0 via Wikimedia Commons

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°488 du 3 novembre 2017, avec le titre suivant : Vous avez dit « 9e art » ?

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