Collectionneurs - Photographie

Marin Karmitz, autoportrait intime

Par Stéphane Renault · Le Journal des Arts

Le 31 octobre 2017 - 573 mots

Le producteur et fondateur des salles de cinéma MK2 dévoile pour la première fois sa collection à la Maison rouge. Un ensemble sombre et magistral dominé par la photographie noir et blanc.

Paris. « Ce qui me fascine dans la photographie, c’est le pouvoir d’une seule image fixe, alors qu’il en faut tellement pour faire comprendre des choses dans un film. » À elle seule, cette confidence de Marin Karmitz, bientôt 80 ans, résume la fascination qu’exerce sur le producteur à succès la spécificité du médium photographique par rapport aux autres formes d’art. Un portrait, un moment volé, une attitude, saisis sur le vif pour mieux résumer l’universalité du monde. Le fameux « instant décisif » cher à Cartier-Bresson. Comme autant de récits de vie concentrés dans une économie de moyens. Avec une prédilection pour le noir et blanc, corollaire de la nuit, le mystère, la mort. Mais aussi la renaissance ; le jour, derrière la nuit. « On dit que dans le judaïsme il y a deux débuts d’année, un à Rosh ha-Shana, où l’on va du jour vers la nuit, enfin de l’été vers l’automne, puis à Pessah, où l’on va de la nuit vers le jour », avance le collectionneur. Cheminant entre ces quelque 300 œuvres ouvertes à l’interprétation, chacun compose ses propres histoires. L’histoire, la grande, est omniprésente.

Comme souvent – mais ici plus encore – la collection dit beaucoup du collectionneur. « C’est mon histoire, évidemment, confesse Karmitz. Un certain nombre de photographies m’ont touché parce qu’elles reflétaient quelque chose de ma mémoire, de mon inconscient. » Plus qu’un portrait en creux, un autoportrait intime, patiemment constitué depuis trois décennies. Dans l’avant-propos du catalogue, Antoine de Galbert écrit au sujet de cet « Étranger résident », titre lourd de sens choisi pour l’exposition : « Marin Karmitz est un enfant du XXe siècle, lui-même victime des déracinements engendrés par la Shoah et par le partage de l’Europe en deux blocs. Son engagement politique, social et religieux marque l’esprit de sa collection, dont les œuvres s’articulent comme s’il s’agissait d’un scénario. » Défilent ainsi les gitans de Josef Koudelka, côtoyés en Roumanie avant son exil, les images d’un monde juif disparu dans la Mitteleuropa, les affres d’un siècle meurtri par les guerres, les génocides. Dès l’entrée, le ton est donné. Dans la première salle, un mur de regards braqués sur les visiteurs de Christian Boltanski, ami de longue date avec Annette Messager, elle aussi montrée dans la collection. Des images de Roman Vishniac, qui documente entre 1935 et 1938 la vie quotidienne de la communauté juive – persécutée, plus tard décimée – en Pologne, en Lituanie, en Hongrie, en Roumanie et en Tchécoslovaquie. Dont un bouleversant portrait d’une petite fille en 1939, intitulé Les seules fleurs de son enfance.

Plus loin, la vie au kibboutz par Moï Ver, le camp d’Auschwitz dans l’objectif d’Antoine d’Agata. Le jour, la nuit. La lumière des visages, antidote à la perte, à l’oubli. La photographie, mémoire de vies brisées, précipitées dans la tragédie. Partout, la figure humaine : Man Ray, Stanislaw Witkiewicz, Saul Leiter, Gisèle Freund, Leon Levinstein, W. Eugene Smith, Gotthard Schuh, André Kertész… D’autres œuvres complètent cette collection photographique. Giacometti, plusieurs Dubuffet, Fromanger, Baselitz, Raysse, Richier, Fautrier, Soutter, Miró, Dix, Szapocznikow, Grosz, objets et statuettes mexicaines… À grand film, casting d’exception.

Étranger résident, la collection Marin Karmitz,
jusqu’au 21 janvier 2018, La Maison rouge, 10, bd de la Bastille, 75012 Paris.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°488 du 3 novembre 2017, avec le titre suivant : Marin Karmitz, autoportrait intime

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