États-Unis - Censure - Musée

Chronique

Quand le Guggenheim capitule

Par Emmanuel Fessy · Le Journal des Arts

Le 16 janvier 2018 - 589 mots

Censure. À New York, le Whitney Museum of American Art avait su résister, durant sa dernière Biennale, au diktat d’activistes noirs américains réclamant le décrochage et la destruction d’un tableau de Dana Schutz. Le Solomon R. Guggenheim, lui, a vite abdiqué. 

Solomon R. Guggenheim Museum, New York
Le Solomon R. Guggenheim Museum, New York
Photo Karl Döringer, 1995

Sous la pression d’une pétition qui a recueilli plus de 700 000 signatures, de l’écho amplificateur des réseaux sociaux, d’un cortège de menaces et de manifestations, le musée a retiré trois œuvres majeures d’une exposition, avant même son ouverture. L’une des pièces avait pourtant donné titre à l’exposition, lequel titre est maintenu : « Art and China After 1989: Theater of the World ». En cause cette fois-ci : l’utilisation d’animaux par les artistes. Huang Yong Ping – invité en 2016 du Grand Palais pour Monumenta – devait présenter à nouveau son installation Theater of the World. Une structure octogonale où quelques reptiles et moult insectes cohabitent avant que les forts ne dévorent les faibles. Peng Yu et Sun Yuan avaient filmé quatre paires de pitbulls cherchant à s’agresser mais n’y parvenant pas ; Xu Bing, des cochons, la peau recouverte d’inscriptions, s’accouplant devant des spectateurs. Relevons que le Guggenheim n’a pas censuré des œuvres créées spécialement pour cette exposition mais considérées comme historiques, datant du siècle dernier ou de 2003. Pièces montrées à plusieurs reprises, souvent sans soulever d’opposition, parfois en déclenchant une censure, comme ce fut le cas pour Theater of the World au Centre Pompidou en 1994 et à Vancouver en 2007.

À Paris, en 2011, Claude d’Anthenaise, qui a redonné vie au Musée de la chasse et de la nature, avait subi des pressions avec la présentation de l’exposition « Bêtes off » à la Conciergerie, mais n’avait pas cédé. « Il y a aujourd’hui un investissement hyperactif dans les animaux, une hypersensibilité, particulièrement aux États-Unis, constate le conservateur en chef. Faut-il pour autant censurer la nature ? ». « Faire de la violence de la nature un spectacle est une autre question », poursuit celui qui affirme être « le premier à lutter contre la maltraitance animale ». Les fanatiques de la défense des animaux, les partisans d’un écologisme sectaire ont un vaste champ de bataille devant eux puisque les artistes contemporains sont légion à trouver dans l’animalité des sujets d’inspiration. Mais plus alarmant, ces militants s’attaquent au passé, exigeant, aussi à New York, le décrochage de toiles du XVIIe siècle représentant une cruauté envers les bêtes, s’inquiète Claude d’Anthenaise. Le Musée de la chasse et de la nature conservera-t-il à l’avenir sa salle des trophées ?

Quand un musée décide de montrer des œuvres pouvant choquer, il se doit de les expliquer clairement. Le Guggenheim n’a pas mesuré l’enjeu et failli dans cette pédagogie, se limitant à invoquer vaguement, à l’aide d’un vocabulaire standard, un contexte politique et artistique chinois ou la mondialisation. Dans le passé, Peng Yu et Sun Yuan s’étaient défendus en affirmant que les pitbulls étaient examinés par des vétérinaires avant et après la performance. Au Guggenheim, Huang Yong Ping a « déposé » une déclaration regrettant que les pétitionnaires, suivant docilement la communautarisation activée par les réseaux sociaux, aient signé aveuglement, sans même regarder l’installation et voir à quel point la structure était minutieusement construite. Il évoque aussi Spinoza, connu pour organiser des combats d’araignées. Avec son habituelle ironie, l’artiste, résidant à Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne), a rédigé ce manifeste sur le sachet en papier que tout passager trouve dans un avion s’il éprouve le besoin de vomir. Et signe : « Huang Yong Ping, 30.09.2017, AF 006, Paris-New York ».

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°487 du 20 octobre 2017, avec le titre suivant : Quand le Guggenheim capitule

Tous les articles dans Expositions

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque