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PRIX D’ART CONTEMPORAIN

Un ArtPrize plus politisé que jamais

La milliardaire qui finance le prix Artprize, d’un montant global de 500 000 dollars, est aussi la ministre très controversée de l’Éducation de Trump.

Grand Rapids (Michigan). Ce qui a longtemps été un casse-tête local dans le Michigan vient de prendre une dimension nationale aux États-Unis. Si la critique politique est un enjeu universel dans l’art, s’attaquer aux personnes qui le financent est plus périlleux. Le grand concours américain ArtPrize, qui s’est déroulé début octobre à Grand Rapids, dans l’État du Midwest, est confronté à un dilemme : comment ne pas (trop) déplaire à Betsy DeVos tout en dénonçant ses prises de position ?

La milliardaire n’a rien d’une inconnue dans l’État des Grands Lacs. Avec son mari Dick DeVos, héritier d’une des plus grandes fortunes du pays, elle fait partie d’une famille qui apporte un soutien majeur financier à ArtPrize depuis que le concours a été créé et financé par… son fils, Rick DeVos. En neuf ans d’existence, celui-ci a vu passer nombre d’œuvres en forme de camouflet pour Betsy DeVos, personnalité conservatrice honnie des milieux progressistes et artistiques bien qu’elle soit une grande donatrice pour ce dernier. Mais cette édition, avec ses 1 350 participants venant de 47 pays qui concourent pour 500 000 dollars de cagnotte, a pris un relief particulier car c’est la première depuis que la femme politique a fait son entrée (très controversée) dans le gouvernement de Donald Trump, dont elle est la ministre de l’Éducation.
 

Nombreuses pièces anti-Trump

« Toute œuvre qui va être présentée à ArtPrize concernera ArtPrize, les DeVos et Trump », résume Eric Millikin, un artiste de Detroit qui assure avoir longuement pesé le pour et le contre avant de se lancer cette année encore. De nombreux artistes ont fait le choix, en effet, de présenter des pièces frontalement anti-DeVos ou Trump. Ilene Berman, par exemple, a dévoilé une installation en forme de mémorial, composée de bureaux d’écolier en laine grise qui s’effondrent, dans une allégorie évidente du système éducatif sous Mme DeVos. « La tendance à blâmer les enseignants et ce qui se passe à la maison pour les problèmes de notre École passe totalement à côté du rôle de quelqu’un comme Betsy DeVos dans la situation actuelle », explique dans les colonnes du New York Times l’artiste de Saint-Louis, dans le Missouri.

Aucune forme de censure ou de pression n’a toutefois été rapportée durant la présentation au public, et le nombre très élevé d’œuvres visant directement la famille DeVos est un signe que l’influence de celle-ci reste inexistante, se félicite de son côté le directeur des expositions de la compétition, Kevin Buist. « Certaines personnes essaient de mettre de l’idéologie dans ArtPrize, mais c’est avant tout un événement qui promeut […] la liberté d’expression », explique-t-il. L’intervention de la famille dans ce qui a vocation à être exposé est de « zéro, nada », abonde Eddie Tadlock, qui gère le DeVos Place Convention Center, l’un des plus grands centres d’exposition pour ArtPrize.

 

 

Mainmise renforcée du clan

La mainmise du clan sur le concours laisse pourtant songeur. Environ 16 % du budget annuel de 3,5 millions de dollars provient des diverses fondations DeVos, une famille qui investit massivement dans les causes conservatrices, selon des relevés d’imposition datés de 2016. Le reste du financement est assuré par d’autres fondations ou dons privés. Au-delà de l’aspect purement financier, Rick DeVos, le fils, siège toujours comme président du conseil d’administration d’ArtPrize, tandis que d’autres membres de la famille font partie du « board » de plusieurs des 175 établissements qui peuvent exposer les œuvres lors du concours. À défaut d’y siéger, ils les financent souvent. Impossible de déterminer leur emprise exacte sur cet événement. Mais les règles ont été changées et, depuis 2013, le public ne décide plus seul de l’issue du concours. L’un des deux prix principaux (dotés de 200 000 dollars chacun), reste attribué par le vote populaire tandis que l’autre est décerné par des experts en art. Les 100 000 dollars restants étant partagés entre plusieurs prix secondaires. Deux règles sont inchangées : tout établissement du centre-ville de Grand Rapids peut proposer une salle d’exposition, et tout artiste qui s’acquitte d’un montant de 50 dollars peut concourir. Résultat, des œuvres se retrouvent dans des garages automobile. Mais pas encore dans des écoles.

Cette année, A. Lincoln, un portrait du président américain a qui aboli l’esclavage, réalisé par Richard Schlatter et constitué de 24 000 pièces de monnaie, a remporté l’adhésion populaire. Le jury de spécialistes a préféré une œuvre vidéo de Seitu Jones, intitulée The Heartside Community Meal, représentant un banquet de 250 personnes. Aucune des œuvres primées ne visait la millliardaire ou sa famille.

 

 

 

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°487 du 20 octobre 2017, avec le titre suivant : Un ArtPrize plus politisé que jamais

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