Art contemporain

Lee Ufan de Tours à La Tourette

Par Henri-François Debailleux · Le Journal des Arts

Le 5 octobre 2017 - 780 mots

À la fois à Tours et à Lyon, l’artiste coréen donne vie à de subtiles œuvres qui naissent du jeu de l’ombre et la lumière pour se confronter à la question existentielle de la négativité.

Tours/Lyon. Lorsqu’Alain Julien-Laferrière, le directeur du CCCOD (Centre de création contemporaine Olivier Debré, inauguré en mars dernier) a invité Lee Ufan à intervenir dans la Galerie noire, l’artiste a pris l’appellation au pied de la lettre. Aux murs noirs de cet espace, Lee Ufan a en effet répondu par une installation dense et sombre,puisque entièrement plongée dans une relative obscurité. Et nul doute, le noir lui va bien, lui qui nous avait jusqu’alors plutôt habitués aux monochromes blancs de ses toiles juste ponctuées par la trace grise (et récemment de couleur) d’un geste de pinceau brosse.

Plus que d’un noir profond, c’est en effet plutôt d’ombre dont il vaut mieux parler ici. Celle qui baigne (comme on le dit de la lumière) tout l’espace que Lee Ufan a recomposé en six salles de dimensions presque similaires, séparées par un chemin central (trois de chaque côté) et toutes habitées par une œuvre. La pénombre donc, comme incarnation de l’idée de frontière, de passage, de correspondance, de seuil qui domine toute son œuvre construite autour de la relation – son fameux concept de « relatum » – entre deux mondes : entre le visible et l’invisible, entre la nature et ce qui est fait par la main de l’homme, entre la réalité et l’illusion, entre l’ombre et la lumière, entre la vie et la mort peut-être ici. La lumière pour créer des ombres et de l’ombre pour faire naître des lumières, telle est bien la dominante du cheminement proposé de part et d’autre d’une allée de graviers blancs pour accentuer les murs noirs et nous faire entendre nos pas quand le silence est possible.

Ô temps suspends ton vol

Ainsi cette pierre installée au sol juste pour qu’elle projette les contours de sa forme sur la toile entièrement blanche posée verticalement, un peu plus loin derrière (salle 2). Ou la flamme vacillante d’une bougie qui permet de révéler un bac carré en acier entouré d’un monticule de terre (salle 6), comme un tombeau ouvert. Ou encore ces jeux de trompe-l’œil avec des pierres dont certaines ombres sont vraies et donc impalpables, alors que d’autres sont peintes au sol et donc tangibles (salle 5). Certaines installations, comme les deux précitées ou celle qui se compose d’une arche entre deux bassins d’eau (salle 4), rappellent des œuvres que Lee Ufan avait réalisées lors de son invitation au château de Versailles, l’été 2014. D’autres sont inédites (tout du moins en France), comme cette toile blanche, posée à plat sur un socle et ponctuée d’une seule petite touche noire (salle 3). À l’exemple de cette dernière et du grand soin apporté aux éclairages qui effleurent leurs cibles, tout ici paraît suspendu dans le temps, comme dans l’espace, suggérant une constante impression de lévitation et d’incertitude. De relative noirceur même, si l’on peut dire compte tenu du thème chromatique. L’exposition est d’ailleurs intitulée « Pressentiment », comme l’explique l’artiste : « Ce titre m’est venu à la fin. Il évoque effectivement, comme le sentiment général de mon intervention, un aspect pessimiste, mais en même temps très poétique du monde. Habituellement on évite d’aborder l’aspect négatif des choses, qui peut être très riche, et on oublie qu’il n’y a pas que du positif dans notre quotidien. C’est l’occasion et la chance de travailler ici dans la salle noire qui m’a conduit à un défi et à cette réflexion sur l’idée de la négativité et de la soustraction. »

Une même cohérence au fil de ses projets

Dans la diversité des propositions et en même temps dans leur cohérence et leur complémentarité, le parcours est d’ailleurs une démonstration de la capacité de Lee Ufan à s’adapter à un contexte. Il est aussi un condensé parfait de sa splendide maîtrise qui lui permet de toujours jouer juste, de disposer ses éléments au parfait endroit (comme ses traces de pinceau sur les toiles), de trouver les proportions idéales, d’appréhender au mieux le jeu des volumes, d’inventer des perspectives et des cadrages qui se révèlent quelquefois avec beaucoup de lenteur et de subtilité.

En témoigne encore la subtile façon dont il s’est glissé, près de Lyon cette fois, dans l’architecture de le Corbusier au Couvent de la Tourette. Là comme à Tours, où le parcours rappelle celui que Lee Ufan a créé dans son propre musée (architecte Tadao Ando) sur l’île de Naoshima au Japon, il faut prendre son temps. Proche d’un chemin initiatique, la déambulation nous renvoie alors à nous-mêmes, à nos propres questionnements existentiels, à nos vertiges face au noir.

 

Lee Ufan, Pressentiment,
jusqu’au 12 novembre, Centre de Création Contemporaine Olivier Debré, Jardin François 1er, 37000 Tours.
Biennale de Lyon,
jusqu’au, 20 décembre, Couvent de la Tourette, 69210 Eveux-L’Arbresle.

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°486 du 6 octobre 2017, avec le titre suivant : Lee Ufan de Tours à La Tourette

Tous les articles dans Expositions

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque