Archéologie

À Marseille, une carrière antique fait polémique

Par Francine Guillou · Le Journal des Arts

Le 20 septembre 2017 - 813 mots

MARSEILLE

Une carrière mise au jour dans la cité phocéenne suscite la controverse quant à son devenir : entre urbanisation et sauvegarde mémorielle, le milieu politique donne de la voix.

Marseille. « Ce ne sont pas des vestiges, c’est un lieu, c’est une trace. Et cette trace, il faut qu’elle soit appréhendée et vécue » : le 11 septembre, en marge d’une visite à Arles, la ministre Françoise Nyssen a réaffirmé la position du ministère de la Culture sur le dossier du chantier de fouilles de la Corderie à Marseille. En partie classé, le site antique verra bien la construction d’un immeuble de 109 logements.

Le sujet de la sauvegarde ou non de ce site a agité les esprits marseillais tout au long de l’été et le dossier archéologique est aujourd’hui devenu une affaire « politico-mémorielle ». D’avril à juin dernier, une équipe de l’Inrap (Institut national de recherches archéologiques préventives) a fouillé un site d’une surface de 4 200 m2 situé boulevard de la Corderie, entre le Vieux-Port et Notre-Dame de la Garde. Cette fouille préventive, avant la construction d’un immeuble de standing par le groupe Vinci, a mis au jour une carrière exploitée du VIe au Ve siècle avant notre ère pour son calcaire. Visuellement, le site est exceptionnel : sur un dénivelé impressionnant, situé en contrefort des remparts du XVIIe siècle, on trouve des traces d’outils, des restes d’ateliers de carriers et quelques cuves de sarcophages en cours d’extraction.
 

Des rumeurs au sujet d’un « carnage patrimonial »

Au printemps de cette année, comités de quartier et associations citoyennes se sont réunis au sein d’un comité de défense pour réclamer l’abandon du projet immobilier au bénéfice d’un réaménagement du site ; ce comité est soutenu par des opposants politiques du maire (LR) de Marseille, parmi lesquels Jean-Luc Mélenchon (La France insoumise), alors candidat à la présidentielle en campagne, et des intellectuels. En juillet, toute la ville bruisse de rumeurs au sujet d’un « carnage patrimonial » au profit d’un projet immobilier lucratif.

L’épisode marseillais de la sauvegarde du port antique revient en mémoire : en 1967, c’est seulement grâce à l’intervention d’André Malraux que les vestiges du port antique, découvert lors des grands travaux de réaménagement du Vieux-Port, ont été sauvés de la destruction. Le maire d’alors, Gaston Defferre, s’opposait à la sauvegarde du site et le ministère de la Culture avait imposé la création d’un jardin des vestiges contigu au centre commercial du Centre Bourse.

Reçu le 21 juillet par Françoise Nyssen, un collectif accompagné du député Jean-Luc Mélenchon obtient l’assurance d’un classement au titre des monuments historiques d’une parcelle de 635 m2, celle des ateliers des carriers, avec une servitude de passage sur le terrain pour l’ouvrir au grand public. Cette décision de classement est rarissime en archéologie préventive. En 2003, la mise au jour d’une exceptionnelle basilique paléochrétienne du Ve siècle rue Malaval, toujours à Marseille, avait été l’occasion d’un grand chantier de fouilles : après inventaire, moulages et dépose de mobilier, le site a pourtant laissé place à un parking. À Marseille, l’urbanisation de l’hyper-centre n’est jamais à l’abri d’une découverte fortuite de la ville antique, qui affleure de toutes parts.
 

Un intérêt « non exceptionnel »

Les associations et les politiques s’emparent de ce dilemme mémoriel. Le sujet se déplace sur le terrain scientifique : la carrière est-elle oui ou non exceptionnelle ? Président-directeur de l’Inrap, Dominique Garcia le répète à longueur d’entretiens : le site présente un intérêt scientifique mais n’est pas exceptionnel, et le calcaire de la carrière, très fragile, ne résisterait pas à une exposition en plein air. Le comité de défense de la Corderie se dote d’un comité scientifique composé entre autres d’Alain Nicolas, ancien conservateur en chef et fondateur du Musée d’histoire de Marseille, et appelle à un examen approfondi des fouilles et l’abandon du projet immobilier.

Le 4 septembre, la ministre rend sa décision : « Les services de l’État n’ont pas relevé de nouveaux éléments permettant de modifier la décision annoncée en juillet sur la base des rapports de l’Inrap et du conservateur régional de l’archéologie, après avis de la commission territoriale de la recherche archéologique. La loi ne permet pas à l’État d’étendre l’espace protégé à des surfaces qui ne le justifient pas. » La ministre renvoie donc le dossier sur la table du maire de Marseille, Jean-Claude Gaudin, étonnamment silencieux depuis le début de la polémique : « Tout autre aménagement ne pourrait ainsi relever que d’un accord entre l’opérateur immobilier et l’autorité lui ayant délivré le permis de construire. »Et ce n’est pas sur le plan judiciaire que les associations peuvent espérer un salut. Le tribunal administratif a refusé de suspendre en urgence (en procédure de référé) le projet immobilier.

Le sujet n’est cependant pas clos : Rudy Ricciotti, architecte du MuCEM (Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée), vient de proposer l’ouverture d’un concours d’architecte pour mettre en valeur la « mémoire laborieuse de Massalia ».

 

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°485 du 22 septembre 2017, avec le titre suivant : À Marseille, une carrière antique fait polémique

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