ENTRETIEN

Delphine Guillaud et Séverine de Volkovitch, galeristes : « Sans entraide entre petites et moyennes galeries, nous sommes morts »

Par Henri-François Debailleux · Le Journal des Arts

Le 6 septembre 2017 - 863 mots

Formées à « l’école Templon », les deux galeristes construisent leur propre modus vivendi autour de la collaboration entre galeristes pour faire exister leur singularité.

Delphine Guillaud et Séverine de Volkovitch se sont rencontrées lorsqu’elles travaillaient toutes les deux chez Daniel Templon. Une expérience qu’elles qualifient encore aujourd’hui de « formatrice et essentielle ». Et le 27 novembre 2010, elles ont inauguré leur propre galerie, Backslash, dans le Haut Marais, 29, rue Notre-Dame-de-Nazareth, dans le 3e arrondissement à Paris, en réfléchissant et s’adaptant aux nouvelles donnes du marché.

Vous revendiquez le fait de travailler de manière différente que d’autres galeries. Comment définissez-vous votre approche ?
Delphine Guillaud :
Les galeristes de la génération qui nous a précédée – et que l’on connaît bien pour avoir travaillé chez eux – avaient une autre façon de travailler : ils étaient plus concurrents que confrères et consœurs. Aujourd’hui, entre jeunes galeries, on s’entraide beaucoup plus. Nous partageons énormément d’informations, de réflexions et même nos collectionneurs. Il nous arrive par exemple d’envoyer certains des nôtres chez des confrères, quelquefois même en les accompagnant. Nous sommes dans un échange plus global, complètement nécessaire, puisque nous vivons quelque chose de nouveau avec le développement des réseaux sociaux et l’abondance des foires. Le monde de l’art est tellement rapide aujourd’hui et les collectionneurs sont tellement sollicités que nous sommes obligés de nous regrouper.

Séverine de Volkovitch :
On rejoint là un phénomène général de société, qui s’appuie aujourd’hui sur le rhizome, l’entraide, la communauté et que l’on retrouve dans tous les domaines. Le monde de l’art y vient et il est obligé de le faire parce que les modèles d’avant ne marchent plus et que le marché a beaucoup changé. Il nous faut trouver autre chose. C’est un mode de travail qui nous fait envie, car très agréable pour tout le monde : il remet du lien entre nous, aussi bien les fournisseurs que les artistes, les collectionneurs, les autres galeristes. Il y aura toujours de petites structures, mobiles, avec peu de charges qui vont ouvrir ou fermer, peu vont durer dans le temps. Les grosses, elles, vont accumuler, consolider leurs forces. Nous, nous sommes au milieu, comme les petites et moyennes entreprises ou les classes moyennes. Si nous voulons nous en sortir et faire entendre notre singularité, nous devons créer du lien. De toute façon, sans entraide entre petites ou moyennes galeries, nous sommes morts.

Quelle forme concrète cela prend-il ?
SV :
Nous avons lancé il y a sept ans le plan des galeries du Haut Marais, nous organisons des nocturnes. Certes, tout cela n’est pas nouveau, d’autres quartiers l’ont fait avant nous, mais c’est aujourd’hui très complexe à mettre sur pied à cause des agendas de chacun, notamment avec les foires. Mais plus que cela, nous essayons de nous fédérer pour beaucoup de choses, nous avons par exemple envie de trouver un encadreur commun pour obtenir des prix, nous organisons des événements comme Sessions...

De quoi il s’agit-il précisément ? DG :
Nous avons invité au cours de l’année dernière dans notre espace pour quatre expositions différentes – donc quatre sessions – dix-sept galeries (plus nous-mêmes) à exposer chaque fois, selon un thème différent, un ou deux de leurs artistes. L’objectif est, bien évidemment, de réaliser des ventes, bien que notre galerie ne prenne aucune commission. Ce n’est ni une foire, ni un salon, mais juste une invitation. Nous ne savions pas si l’initiative allait trouver une suite et elle a été reprise, avec notre accord, par la galerie Paris-Beijing cette année. Nous espérons que cela continue.

De combien de galeries parlez-vous et quelles sont-elles ? SV :
Cela concerne entre vingt et vingt-cinq galeries ; parmi lesquelles Paris-Beijing, Benjamin Derouillon, Bertrand Grimont, Romain Houg, Thomas Bernard, etc. Le nombre n’est pas précis, puisqu’il s’agit là encore d’un rhizome, d’une nébuleuse. Toutes ont entre cinq et dix ans d’existence. Mais ce qui change surtout – car il y a toujours eu des échanges entre les galeries, des guides, des associations, des événements – c’est la notion de gratuité qui est l’idée de base de Sessions, soit pas de frais de participation.

Quelle est votre position vis-à-vis des foires ?
DG :
Le problème des foires est aujourd’hui complexe. Elles ont un monopole, une surpuissance par rapport aux galeries qui est très problématique. Si vous n’êtes pas dans telle ou telle foire, vous n’êtes rien, vous n’êtes personne. Je préfère passer du temps à trouver des lieux pour présenter des rétrospectives de nos artistes plutôt que de « réseauter » les membres du comité d’une foire pour y participer.

SV :
Nous avons une grande chance, que nous avons provoquée : nous faisons environ 90 % de notre chiffre d’affaires en galerie. C’est rare aujourd’hui, mais nous bénéficions d’un solide réseau de collectionneurs qui nous soutiennent. Ainsi nous ne dépendons pas des foires. Nous apprécions d’y participer, mais ce n’est pas une obligation et nous aimons rappeler qu’elles ne constituent pas le cœur du métier de galeriste. Ce n’est pas dans les foires que l’on parle d’art et que l’on montre correctement le travail d’un artiste. C’est la raison pour laquelle nous avons fait le choix, dès le départ, d’avoir un grand espace et de soutenir nos artistes avec des expositions personnelles.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°484 du 8 septembre 2017, avec le titre suivant : Delphine Guillaud et Séverine de Volkovitch, galeristes : « Sans entraide entre petites et moyennes galeries, nous sommes morts »

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