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ENTRETIEN

Almine Rech, galeriste : « dans l’Upper East Side, on rencontre directement les collectionneurs »

Par Alain Quemin · Le Journal des Arts

Le 6 septembre 2017 - 1169 mots

NEW YORK / ETATS-UNIS

Almine Rech est galeriste à Paris depuis presque ving-cinq ans. Après une installation à Bruxelles, elle a ouvert de nouveaux espaces à Londres et New York.

Almine Reich dans sa galerie de New York
Almine Reich dans sa galerie de New York
Photo Léa Crespi

Créée en 1993 rue Louise Weiss à Paris, la galerie Almine Rech s’est installée dans le Marais, d’abord rue de Saintonge en 2006, puis rue de Turenne, en 2013. Entre-temps, elle s’était internationalisée à Bruxelles, en 2008, puis elle s’est implantée à Londres, en 2014, d’abord à Saville Row, puis à Grosvenor Hill, en 2016. Cette même année, la galerie a ouvert également à New York, en plein cœur de l’Upper East Side.

Comment s’est faite votre rencontre avec l’art américain ?
Cette rencontre a eu lieu très tôt, en faisant connaissance avec Ghislain Mollet-Viéville, au milieu des années 1980, j’étais encore étudiante. En me rendant dans son appartement du 26, rue Beaubourg, à Paris, j’ai été confrontée à un art radical lié aux avant-gardes du XXe siècle qui correspondait parfaitement à mes aspirations d’alors. C’est là que j’ai découvert John McCracken que j’ai ensuite représenté, une fois devenue galeriste, jusqu’à son décès en 2011. L’autre moment fort a eu lieu au Carré d’art, à Nîmes, en y découvrant une Light Piece de James Turrell. Devenue galeriste – j’étais alors associée – je lui ai consacré ma toute première exposition, en 1989. Une fois installée seule, en 1995, j’ai continué avec ces deux artistes.

Quels souvenirs gardez-vous de vos premiers voyages à New York et quels lieux d’art contemporains – notamment quelles galeries – fréquentiez-vous, dans quels quartiers ?
J’allais beaucoup à SoHo, au début des années 1990. Je me souviens de Pat Hearn, de Colin Deland. Pat aimait les peintres et a montré très tôt George Condo et Jeff Elrod, par exemple, Colin, Cady Noland. SoHo a disparu, tout comme Pat et Colin. La découverte d’artistes, l’art plus que l’argent, étaient au centre du marché de l’art et des conversations. J’ai aussi découvert à l’époque des lieux comme le DIA, le Walter de Maria, The New York Earth Room, 141 Wooster Street. C’était une expérience assez extraordinaire et étrangère à tout ce que nous avions en Europe. Pour autant, je ne suis pas nostalgique, les conversations intéressantes sont toujours là, comme lors des visites dans les ateliers d’artistes, la prospection de jeunes artistes est toujours aussi fascinante.

À partir de quand avez-vous songé à ouvrir une galerie également à New York ?
Cela a pris beaucoup de temps, car installer une galerie à l’étranger est pour moi une question de personne. J’ai ouvert à Bruxelles, car je souhaitais m’agrandir hors de France en étant suffisamment proche de Paris pour être présente fréquemment dans les deux lieux et j’ai trouvé un vaste endroit très abordable et bien situé à Bruxelles. La galerie de Londres a vu le jour, parce qu’un de mes directeurs de Bruxelles, avec lequel j’ai une très bonne relation de travail, souhaitait s’y établir. C’est arrivé à un moment où je pouvais me permettre de l’envisager. C’est la même chose pour New York, Paul de Froment s’y est installé après avoir travaillé deux ans à la Faba (Fundación Almine y Bernard Ruiz-Picasso para el Arte), puis à la galerie, et il m’a proposé d’ouvrir à New York. Là encore, il me fallait la bonne personne.

Pourquoi ouvrir une galerie à New York, alors même que vous représentez de nombreux artistes américains très reconnus et prisés du marché (Jeff Koons, Richard Prince, Julian Schnabel, Joel Shapiro ou James Turell...) qui ont déjà une ou même plusieurs galeries à New York, et généralement parmi les plus puissantes au monde ?
Le marché de l’art est aujourd’hui beaucoup plus ouvert qu’il ne l’a été. La question des « territoires » a été revue de par l’internationalisation de plusieurs galeries notamment new-yorkaises. Dès ses débuts, ma galerie a développé un programme comptant des artistes « établis » ou d’une génération antérieure, mais elle a toujours effectué en parallèle un travail de prospection et des projets avec des artistes émergents. À New York, nous pouvons réaliser des expositions avec des « nouveaux artistes » qui ne sont pas représentés dans cette ville, mais nous pouvons aussi montrer des séries différentes d’artistes qui ont déjà une autre galerie à New York. Par exemple, en septembre, nous exposons une série particulière d’œuvres sur papier et toile de Julian Schnabel, alors qu’il a récemment exposé chez Pace NY des « Plate paintings ».

La ligne de vos expositions new-yorkaises est-elle spécifique par rapport à celle de vos galeries européennes, ou bien peut-on aujourd’hui avoir une programmation « globale » ?
Pour certains artistes tels John M. Armleder, Kurt Kauper ou Jennifer Guidi, notre programmation est globale. Mais à New York, nous réalisons aussi des expositions sur des thèmes donnés qui associent art moderne et art contemporain, c’est plus spécifique à la galerie de New York, même si ce n’est pas exclu ailleurs. Nous sommes situés dans l’Upper East Side qui est le quartier historique des galeries, où se côtoient souvent art moderne et art contemporain depuis les années 1950. Ce type d’expositions était en gestation depuis longtemps, mais notre ouverture dans l’Upper East Side à New York et le succès de notre exposition inaugurale « Calder and Picasso » ont constitué une forte incitation à poursuivre dans cette voie.

Avez-vous envisagé de vous installer à Chelsea, au cœur même du marché de l’art new-yorkais, là où la concentration des galeries, surtout les plus importantes, est la plus élevée au monde ?
Non, le quartier de Chelsea n’a pas été envisagé, car nous n’avions pas envie d’un espace industriel, mais plutôt d’un lieu très flexible qui permette de montrer à la fois de l’art moderne et contemporain, des expositions à thème aussi, avec des œuvres de dimensions parfois moyennes ou même petites qui sont très difficiles à présenter dans des espaces aux volumes industriels qui les desservent.

Pourquoi votre choix s’est-il porté sur l’Upper East Side ?
Quelles sont les qualités que vous recherchiez dans ce quartier ? C’est vraiment le quartier historique des galeries à New York et nous souhaitions nous identifier à une histoire new-yorkaise qui couvre les périodes moderne et contemporaine. En octobre, nous allons présenter en même temps des œuvres d’artistes aussi consacrés et éclectiques qu’Artaud, Basquiat, Boetti, Braque, Clemente, Gris, Kippenberger, Kosuth, Barbara Kruger, LeWitt, Magritte, Morris, Picasso, Ruscha, Schwitters, Twombly ou encore Warhol ! Cela fait davantage sens dans l’environnement de l’Upper East Side, qui est justement porteur d’une histoire à la fois moderne et contemporaine, que dans n’importe quel autre quartier de New York. C’est aussi une façon d’être au plus près de celles et ceux qui collectionnent ces artistes et qui vivent justement, pour beaucoup d’entre elles et eux, dans l’Upper East Side. Ces collectionneurs ne se déplacent pas toujours facilement dans les autres quartiers de Manhattan, même à Chelsea. Au moins, dans l’Upper East Side, on rencontre directement les collectionneurs et ils voient réellement les œuvres, tout n’est pas délégué à leurs conseillers. Vraiment, je me réjouis de cet emplacement.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°484 du 8 septembre 2017, avec le titre suivant : Almine Rech, galeriste : « dans l’Upper East Side, on rencontre directement les collectionneurs »

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