RÉTROVISION

Au XVIIIe, des écrits clandestins se répandent en calomnies

Par Éléonore Thery · Le Journal des Arts

Le 5 juillet 2017 - 828 mots

Les libelles, ces ancêtres des « fake news », connaissent leur heure de gloire sous Louis XV.

Cette petite phrase glissée par Marine Le Pen à Emmanuel Macron dans le débat de l’entre-deux-tours en avril dernier, et l’avalanche simultanée de tweets relayant le hashtag « #macrongate » n’auront pas été des éléments isolés. Certains ont aussi imaginé Hillary Clinton instigatrice d’un cercle pédophile dans une pizzeria new-yorkaise, « Ali Juppé » commanditaire d’un projet de centre islamique à Bordeaux pour 22 millions d’euros, Emmanuel Macron séducteur du P.-D.G. de Radio France Mathieu Gallet ou Jean-Luc Mélenchon arborant à son poignet une Rolex à 17 000 euros. L’heure est aux « fake news », ces fausses informations délibérément lancées dans le champ médiatique. De nombreux commentateurs en ont conclu au développement d’une ère de « post-vérité », s’appuyant sur le déclin des faits objectifs, face à la diffusion de fausses informations sur les réseaux sociaux. La calomnie à des fins politiques est pourtant aussi ancienne que la politique elle-même, rappelle l’historien américain Robert Darnton dans ses différents ouvrages. Bien avant la micromessagerie, ce sont des récits oraux ou écrits qui colportent les infamies. Les libelles, ces écrits diffamatoires qui connaissent leur heure de gloire au XVIIIe siècle, en offrent une savoureuse illustration. Alors que la liberté de la presse n’existe pas, et que l’édition est placée sous le contrôle du pouvoir royal, cette littérature clandestine revêt des formes diverses, du simple feuillet à de vraies éditions, avec un point commun : un goût pour l’anecdote scandaleuse. Inlassablement, une foule d’écrivains de seconde zone y pointent du doigt la dépravation des mœurs du clergé ou de la Cour, tout en dénonçant la tyrannie et la corruption des têtes dirigeantes.

C’est sous Louis XV que le succès de ces publications explose. Parmi ces best-sellers, le Gazetier cuirassé, créé à Londres en 1771 par le chevalier Théveneau de Morande, est un véritable brûlot contre le roi et sa maîtresse la comtesse du Barry. Dans cette feuille non dénuée d’humour, on peut lire : « On raconte que le Curé de Saint-Eustache a été surpris in flagrante delicto avec la diaconesse des dames de la charité de sa paroisse, ce qui serait tout à l’honneur de ces deux personnes puisque l’un et l’autre sont octogénaires. » Peu après son accession au trône, Marie-Antoinette, la mal-aimée, devient une cible de choix pour des écrits clandestins dont les attaques atteignent une violence peu commune. Présentée comme une nymphomane, elle est accusée de prendre amants et maîtresses, de vider les caisses de l’État pour des robes et parfums ou de faire le jeu de l’Autriche. C’est loin de ces complots de la Cour et de cette image de reine dispendieuse qu’Élisabeth Vigée Le Brun choisit de la représenter, dans un portrait dit « à la rose » où elle figure seule, vêtue simplement, vraisemblablement dans les jardins de Trianon ou du Hameau, où elle aimait mener une vie champêtre.

Comment endiguer la rumeur ?
Ces manipulations de l’opinion publique ont toujours été prises très au sérieux. Joseph d’Hémery, inspecteur de la Librairie française de 1748 à 1753, effectue ainsi des rapports sur l’opinion publique, et cartographie les auteurs de Paris pour pouvoir poursuivre les libellistes d’un côté et les imprimeurs de l’autre (1). De la même façon, le comte de Vergennes, secrétaire d’État aux Affaires étrangères sous Louis XVI, déploie une grande énergie à suivre les bruits venus d’Angleterre, en parallèle de négociations aussi fondamentales que celles du traité de Paris (1763).

Comment endiguer la rumeur dès lors qu’elle commence à enfler ? Aujourd’hui, Emmanuel Macron choisit de démentir publiquement toute liaison avec Mathieu Gallet – invoquant son hologramme – et Alain Juppé porte plainte pour diffamation. Au XVIIIe siècle, on s’embarrasse moins de scrupules. Dans le meilleur des cas, les libellistes sont condamnés à des amendes, mais ils sont bien souvent embastillés. D’autres solutions plus pragmatiques sont parfois trouvées par un État prêt à tout pour faire cesser les bruits. La police de Louis XV traque ainsi jusqu’à Londres Théveneau de Morande, prêt à dévoiler une vie secrète de Madame du Barry (2). Son enlèvement se révélant plus délicat que prévu, Beaumarchais est secrètement mandaté pour étouffer l’affaire en remettant à l’écrivain indélicat une importante somme d’argent. Autre option – utilisée aujourd’hui par un Donald Trump amateur de « faits alternatifs » –, celle de répandre soi-même de fausses nouvelles. Lenoir, lieutenant général de police de Paris dès 1774, subventionnait régulièrement les libellistes pour répandre les nouvelles qu’il souhaitait répandre.

Difficile de mesurer l’impact de ces feuilles à scandale sur le cours de l’histoire. Mais des historiens estiment que ces textes satiriques pourraient ne pas être étrangers au déclenchement de la Révolution française. Charge à d’autres d’étudier les relations entre les « fake news » et les multiples rebondissements lors des élections présidentielles des deux côtés de l’Atlantique.

(1) Robert Darnton, « Les encyclopédistes et la police », in Recherches sur Diderot et sur l’Encyclopédie, no 1, 1986. (2) R. D. « Le diable dans le bénitier, L’art de la calomnie en France, 1650-1800 », éd. Gallimard, 2010.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°483 du 7 juillet 2017, avec le titre suivant : Au XVIIIe, des écrits clandestins se répandent en calomnies

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