Art ancien

XVIIIe SIECLE - Versailles cultive le « tsar-system »

Versailles fait la cour aux Tsars

Au Grand Trianon, le tsar Pierre le Grand est mis à l’honneur dans un parcours foisonnant. Un portrait du souverain fasciné par la France, entre passions intimes et diplomatie européenne.

Par Francine Guillou · Le Journal des Arts

Le 21 juin 2017 - 797 mots

Il fallait au moins un tsar pour inaugurer l’exposition Pierre le Grand à Versailles. Vladimir Poutine, en visite à Paris, a ainsi pu redécouvrir la personnalité complexe de l’ancien monarque.

Versailles. La nouvelle exposition du château de Versailles a eu les honneurs de la presse entière le jour de son inauguration. Ce n’est pas tant les œuvres et le propos scientifique du parcours qui ont attiré les journalistes, mais l’invité d’honneur qui a eu la primeur de l’exposition, Vladimir Poutine. D’un tsar à un autre, trois siècles séparent l’actuel président russe de Pierre le Grand (1672-1725), avec Versailles toujours en toile de fond pour une grande démonstration diplomatique.« Pierre le Grand. Un tsar en France, 1717 » retrace le parcours de ce tsar au faîte de sa gloire, lorsqu’il accomplit une grande ambassade diplomatique dont le point d’orgue est son séjour en France, de mai à juin 1717. Entre les collections du château de Versailles et celles prêtées par le Musée de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg, l’exposition revient sur les liens diplomatiques et culturels forgés à cette occasion.

Dans la première salle, le visiteur apprend l’histoire et la généalogie de ce prince russe, doté d’un caractère ambivalent entre timidité, cruauté et soif de connaissances. Saint-Simon, grand chroniqueur de son temps, le portraitise ainsi : « c’était un fort grand homme, (…) de beaux yeux noirs, grands, vifs, perçants, bien fendus ; le regard majestueux et gracieux quand il y prenait garde, sinon sévère et farouche, avec un tic qui ne revenait pas souvent, mais qui lui démontait les yeux et toute la physionomie, et qui donnait de la frayeur. Cela durait un moment avec un regard égaré et terrible, et se remettait aussitôt ». Son grand portrait en pied d’après Godfrey Kneller, une copie du XIXe d’un original datant de 1698, ne dit rien de cette ambivalence. Le jeune monarque de 26 ans est présenté à l’occidentale, en armure, à la tête d’une puissance maritime et déjà auréolé d’une gloire militaire dans sa guerre contre les Turcs. Un autre très beau portrait peint par Nattier en 1717 n’est qu’élégance et distinction. Un petit portrait de son fils Alexis Petrovitch, cependant, donne à voir le caractère implacable du tsar. Un cartel raconte sa mort douteuse dans une geôle où son père l’a enfermé : impliqué dans un coup d’État, le jeune homme sera atrocement passé à la question. Passionné par l’Europe, ses avancées techniques, scientifiques et militaires, qu’il souhaite introduire en Russie, il part lors d’une « grande ambassade » entre 1697 et 1698 dans les Provinces-Unies, l’Allemagne du Nord et les Pays Baltes. Il pousse jusqu’en Angleterre, mais évite la France : Louis XIV ne lui est pas favorable.

Une visite politique à portée scientifique
En 1717, les conditions sont réunies pour sa grande entrée à la cour française. Le régent Philippe d’Orléans est intéressé par une alliance diplomatique et l’accueille en grande pompe. Dans le parcours, son séjour à Paris est décrit avec une grande précision, tant ses faits et gestes sont scrutés avec intérêt par les Français. Provenant de l’Ermitage, les objets de voyage personnels du tsar, sans doute utilisés lors de son périple français, teintent l’exposition d’une dimension intime. Sa canne à longue-vue intégrée dans le pommeau témoigne d’un esprit pratique et d’une grande curiosité, peut-être attisée par les édifices militaires qu’il aura traversés, entre Dunkerque et Calais.
Si les collections de Versailles et de l’Ermitage se marient bien pour servir le propos, le nombre d’œuvres présentées est parfois trop important pour les petites salles du Trianon. Un grand portrait de Madame de Maintenon, que le tsar a tenu à saluer, semble superflu, surtout que cette entrevue, de quelques minutes, n’eut aucune suite diplomatique. Une large part de l’exposition est dévolue aux cadeaux diplomatiques, passage obligé de ces grandes ambassades. Pour Pierre le Grand, elles auront une postérité concrète. Le tsar ramène en Russie ouvrages techniques, objets scientifiques, recueils d’architecture et de botaniques. Si le monarque juge Versailles très sévèrement, « un pigeon avec les ailes d’un aigle » écrira-t-il, il est charmé par les jardins à la française. Les recueils des plans généraux de Versailles et du Trianon serviront de modèles pour les jardins de ses palais de Strelna et Peterhof.

Dans le domaine scientifique, les conséquences sont les plus fécondes. Ses instruments scientifiques et les ouvrages de sa bibliothèque personnelle témoignent de son appétence pour les sciences. À Paris, entre deux visites à l’Observatoire ou à l’Académie royale des sciences, il réfléchit à la création de sa propre académie. À la fin du parcours, le portrait du tsar, un buste réalisé par Bartolomeo Carlo Rastrelli entre 1723 et 1729, chef-d’œuvre en bronze ciselé, impressionne par son intensité psychologique. L’exposition du Trianon réussit l’association entre portrait d’homme de passions et récit d’une ambassade diplomatique.

Pierre le Grand. Un tsar en France, 1717

Jusqu’au 24 septembre 2017, château de Versailles, Grand Trianon, 78000 Versailles

Légende Photo :
Jean-Marc Nattier, Portrait de Pierre Ier, 1717, huile sur toile, Musée de l’Ermitage, Saint-Pétersbourg. © State Hermitage

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°482 du 23 juin 2017, avec le titre suivant : Versailles fait la cour aux Tsars

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