JUSTICE

Werner Spies définitivement disculpé

Par Alexis Fournol (Avocat à la cour) · Le Journal des Arts

Le 21 juin 2017 - 498 mots

La Cour de cassation vient d’innocenter l’expert allemand dans l’affaire de l’authentification de faux Max Ernst s’étant révélés être « d’authentiques » Beltracchi

Reconnu et autoproclamé comme « le plus important spécialiste de Max Ernst au monde », l’Allemand Werner Spies avait pourtant été violemment pris dans les tourments judiciaires des remous de l’affaire Beltracchi. À la suite d’une expertise scientifique diligentée par Sotheby’s sur le tableau Tremblements de terre, l’utilisation d’un pigment moderne dans la composition de la toile, et jamais utilisé par l’artiste, fut dévoilée. La parole du sachant, ayant authentifié le faux, fut discréditée et sa responsabilité recherchée de concert avec le galeriste ayant procédé à la vente. Les « tremblements » se portèrent alors sur le terrain de la justice, celle-ci oscillant entre une reconnaissance de sa responsabilité, en première instance, et une absence, en appel. Mais la Cour de cassation vient d’accorder à l’ancien directeur du Centre Pompidou une infaillibilité quasi pontificale, aux termes d’un arrêt du 8 juin 2017. Cependant, et à l’image de la théologie catholique, une telle infaillibilité ne s’applique que lorsque le sachant s’exprime ex cathedra, soit en traduction juridique détournée, sans avoir commis de faute.

Loin d’avoir commis un péché capital, l’historien de l’art – celui-ci refusant la qualité d’expert – n’avait pu qu’être berné par les circonstances de la réapparition de l’œuvre, « suffisamment plausibles », et par l’adéquation de ses caractéristiques picturales avec la période présumée de réalisation. À cet égard, la Cour de cassation conforte l’analyse de la cour d’appel en retenant qu’il ne peut être exigé « de l’auteur d’un catalogue raisonné qu’il subordonne l’admission de chaque œuvre à la réalisation d’une expertise scientifique ». Un tel auteur ne doit donc pas revêtir les atours d’un « Thomas le sceptique », lorsqu’il procède à l’authentification d’une œuvre. Une analyse circonstanciée et approfondie suffit à écarter toute faute, lorsque l’inauthenticité n’est trahie qu’en raison d’une analyse en laboratoire. Pareille solution ne peut qu’être approuvée. Comme le rappelait l’intéressé lui-même dans un entretien de 2011 au quotidien Le Monde, depuis 1966 six mille tableaux ont été répertoriés, quatre cents refusés, et seulement sept erreurs commises, toutes dans le cadre de l’affaire Beltracchi. Une quasi-infaillibilité donc.

Au-delà du cas emblématique et particulier de Werner Spies, l’arrêt de la Cour de cassation semble tracer une nouvelle frontière dans le contentieux de l’authenticité. Le refus de reconnaître une œuvre comme authentique, par le jeu de l’inclusion dans un catalogue raisonné ou par la délivrance d’un certificat, relèverait alors de la liberté d’expression, contentieux rattaché à la première chambre civile. En cette hypothèse, la responsabilité du sachant ne semblerait plus pouvoir être recherchée. Au contraire, un avis, quelle qu’en soit la forme, attestant de l’authenticité et rédigé de manière autonome par rapport à une perspective de vente pourrait engager la responsabilité du sachant, sous réserve que le tiers lésé parvienne à prouver une faute, conformément à la présente décision rendue par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°482 du 23 juin 2017, avec le titre suivant : Werner Spies définitivement disculpé

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