Les musées, les étrangers, et nous

Par Jacques Attali · Le Journal des Arts

Le 7 juin 2017 - 602 mots

Une fois de plus, la vieille question des relations entre une culture nationale et les étrangers refait surface.

Cette fois-ci, c’est en Italie, où le tribunal administratif de Rome vient de déclarer illégale la nomination par le ministre des Biens et Activités culturels de cinq des vingt directeurs de musée récemment nommés, dont un étranger, l’archéologue allemand Gabriel Zuchtriegel, responsable du site archéologique de Paestum, près de Naples. Un site dont le succès est pourtant établi : sa fréquentation a crû d’un tiers en un an. Si la décision du tribunal romain est confirmée, les six autres directeurs étrangers récemment nommés, dont deux autres Allemands, deux Autrichiens, un Français et un Britannique, pourraient devoir démissionner. Ils ont la responsabilité de lieux prestigieux comme la Galerie des Offices de Florence (confiée à l’historien de l’art allemand Eike Schmidt), la Pinacothèque de Brera à Milan, le Musée Capodimonte à Naples (confié au Français Sylvain Bellenger) et le Palais ducal de Mantoue. Ceux qui, en Italie, approuvent la décision de ce tribunal reprochent au ministre des Biens et Activités culturels de discréditer par ces nominations d’étrangers à ces postes prestigieux les compétences des conservateurs de musées italiens. Le vice-président du Sénat, Maurizio Gasparri, a même comparé ces choix à ce qui se passe dans le football sur le marché des transferts de joueurs.

Plusieurs décennies de retard
Comme à chaque fois, ce genre de décision est contraire à l’intérêt de ceux qui les prennent : les musées italiens ne doivent pas oublier qu’ils ont besoin des étrangers. Que seraient-ils sans les dizaines de millions de visiteurs étrangers qui s’y précipitent chaque année ? Et ceux qui les connaissent savent que ces musées ont plusieurs décennies de retard par rapport aux meilleures institutions étrangères sur le plan de la valorisation de leurs fabuleux patrimoines. L’apport d’experts compétents pourra donc non seulement augmenter massivement les recettes de ces musées, mais aussi accélérer la formation de leurs collègues italiens, dont les talents seront alors recherchés hors de leurs frontières.

En France, le sujet se pose de la même façon, même si c’est de façon plus feutrée : très peu de musées français ont à leur tête des directeurs étrangers, même européens. Cas particulièrement symbolique : pour le choix récent du nouveau directeur du Musée d’Orsay, il n’y a eu que quatre candidats, et curieusement, le seul candidat étranger (un Belge, directeur du plus grand musée de Bruxelles, reconnu pour ses compétences et son dynamisme) a été écarté du deuxième tour, pour ne laisser s’affronter que trois, très remarquables, candidats français.

A-t-on oublié les grands directeurs français de musées étrangers, aux États-Unis comme ailleurs ? A-t-on oublié l’historien de l’art suédois Pontus Hulten, qui fut, en 1977, le premier directeur du Centre Georges-Pompidou ? Bien sûr, si on cherche les meilleurs, il faudra sans doute relever le niveau de rémunération de ces directeurs, et par contrecoup de celle des conservateurs, ce qui profitera évidemment aux jeunes conservateurs français de grand talent, si compétents, si mal payés, qui ne rêvent trop souvent aujourd’hui que de s’exiler.

Ce qui est vrai pour les directeurs de musée est vrai pour bien d’autres métiers. Nous avons intérêt à faire venir les meilleurs talents. C’est la condition de la puissance de notre économie. Plus largement même, contrairement à ce qu’on croit et dit, mieux nous recevons les talents étrangers, plus nous créerons d’emplois en France.

Ouvrir, s’ouvrir, affronter le grand large, rechercher l’excellence des autres pour l’atteindre soi-même, avoir confiance en soi, en sa capacité de progresser, telle est, dans les musées comme ailleurs, la condition du succès, de l’épanouissement, du meilleur du monde.

Légende photo

Vue panoramique du Colisée au crépuscule © Photo Diliff - 2007 - Licence CC BY-SA 2.5

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°481 du 9 juin 2017, avec le titre suivant : Les musées, les étrangers, et nous

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