Les faux espoirs du numérique

Par Jean-Christophe Castelain · Le Journal des Arts

Le 7 juin 2017 - 428 mots

SOCIETE - Si les trois débatteurs sur la politique culturelle française (à lire page 28) sont en désaccord, ils se rejoignent pour considérer que le numérique est un levier de démocratisation culturelle. Cette idée est souvent évoquée dans les programmes politiques ou dans la littérature spécialisée. Évoquée, mais rarement développée. Le numérique a révolutionné bien des services et modes d’information, c’est pourquoi il est commode de l’appeler à la rescousse et d’en faire un outil d’éducation ou de consommation culturelle, en particulier pour ceux qui ont un accès limité à la culture.

Pris en tant que canal de diffusion, le numérique, ou plus simplement Internet, suscite les mêmes – vains – espoirs que la multiplication des chaînes de télévision avec la TNT en 2005. À l’époque, les gens pensaient que l’augmentation massive des canaux audiovisuels allait doper la production d’émissions culturelles, et corrélativement le nombre de leurs spectateurs, parmi lesquels les moins éduqués. S’il y a aujourd’hui plus de concerts, de pièces de théâtre et de documentaires sur l’art qu’avant la TNT ou la libéralisation de 1986, leur audience reste faible et il y a fort à parier qu’elle soit surtout constituée de passionnés. Il se passe la même chose avec Internet. Ce n’est pas parce que l’on peut voir ces émissions en replay sur le Net que le grand public va délaisser ses divertissements habituels sur MyTF1. Le pire, ce sont les réseaux sociaux qui habituent le jeune public à des formats courts et distrayants, les incitant indirectement au zapping dès que le contenu réclame de la concentration. De surcroît, les utilisateurs de Facebook et Twitter tendent à s’enfermer dans leurs communautés d’intérêts. Paradoxalement, lorsqu’il n’y avait que trois chaînes, tout le monde était bien obligé de regarder une émission culturelle quand il y en avait une.

La culture, celle qui apporte des connaissances, épanouit et permet une distance critique avec le monde, requiert un peu d’effort et l’envie pour surmonter cet effort. Le numérique, malgré ses séductions, ne crée pas d’envie. On en revient aux ressorts psychologiques élémentaires : l’envie de culture passe nécessairement par la médiation humaine. Ce peut être un guide-conférencier qui raconte un tableau dans un musée en s’adaptant à son public, un groupe de jeunes d’un quartier qui assistent à un « match d’impro », des femmes issues de l’immigration qui écoutent les légendes d’autres pays, un quatuor de musique qui se produit dans une usine pendant la pause. C’est en répétant ces expériences dans la vie réelle que, peut-être, l’un des participants ira un jour de lui-même sur le Net culturel.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°481 du 9 juin 2017, avec le titre suivant : Les faux espoirs du numérique

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