Ventes publiques

À New York, le marché reprend des couleurs

Par Éléonore Thery · Le Journal des Arts

Le 24 mai 2017 - 917 mots

Chez Sotheby’s et Christie’s, les ventes
de printemps d’art impressionniste, moderne et contemporain ont affiché des résultats en hausse, totalisant en quatre soirs plus d’un milliard d’euros. Star de ces ventes, une œuvre de Basquiat a été adjugée à un collectionneur japonais pour 98,4 M€, doublant le record de l’artiste.

NEW YORK - Jean et blouson ouvert sur un tee-shirt, un jeune japonais pose, fier, devant une large toile de Basquiat représentant un crâne sur fond bleu ciel, le sourire du premier contrastant de façon saisissante avec la grimace du second. La photo, postée par yusaku2020, et « likée » plus de 17 000 fois sur Instagram, est sans doute l’image forte des ventes organisées ce printemps à New York. Yusaku2020 n’est autre que Yusaku Maezawa, 41 ans, créateur du site de prêt-à-porter Zozotown, qui s’affichait avec la toile phare de cette saison, un phénomène inhabituel dans un marché qui a le culte du secret.

« Cet acheteur a débarqué dans le marché il y a seulement six mois, il avait déjà acheté cinq ou six toiles l’an dernier, dont un Basquiat » confie Philippe Ségalot, art advisor (conseiller en art). Quant à la toile de Basquiat partagée sur Instagram, elle a été cédée 110,5 millions de dollars, près du double de son estimation, au cours de la vente du soir d’art contemporain de Sotheby’s. « Jusqu’à 60 à 70 millions, les enchères venaient doucement, puis c’est devenu une bataille d’ego entre un Américain et ce collectionneur. Cela a duré dix minutes, c’était un grand moment de ventes publiques », raconte Philippe Ségalot.

Basquiat entre dans le top 10 des œuvres à prix record
Ce tableau de 1982 double le précédent record de l’artiste, obtenu en mai 2016 chez Christie’s par le même acheteur. La toile rejoint ainsi le club fermé des dix œuvres au-dessus des 100 millions de dollars, aux côtés de Picasso, Bacon, Modigliani ou Van Gogh. Pourquoi un tel prix ? « Tous les ingrédients y étaient : mort à 27 ans, Basquiat est aujourd’hui un mythe et son marché est assez large. Ce tableau, sorti au dernier moment par Sotheby’s, a des couleurs magnifiques et comporte un crâne, c’est l’artiste au sommet de son art. Et personne ne l’avait vu depuis les années 1980 », analyse le marchand privé. Sotheby’s doit sans doute regretter d’avoir décidé en dernière minute de partager la garantie avec un tiers, avec qui elle devra partager ses profits.

À noter, les dix œuvres de Basquiat en vente lors de ces deux soirées représentent 24 % du total des ventes cumulées des deux auctioneers. C’est l’ensemble du volet contemporain qui s’est bien déroulé. Sotheby’s a récolté 319,2 millions de dollars (285 millions d’euros) en un soir, quand sa consœur totalisait 448 millions de dollars (400 millions d’euros). Chacune peut se targuer d’un excellent taux de ventes de 96 %, et de montants dépassant les estimations, pour un total cumulé en hausse de 37 % par rapport à 2016. Chez Christie’s, ce sont une toile de Cy Twombly, Leda and the Swan (52,8 millions de dollars) et un triptyque de Bacon, Three Studies for a portrait of George Dyer (51,7 millions de dollars
, sous l’estimation) qui ont été les vedettes.

Si la saison atteste de la vigueur retrouvée du marché, et du retour des œuvres du plus haut segment, pour Philippe Ségalot, il faut nuancer ces résultats et prêter attention à certains détails. « Sur le papier, les ventes se sont bien passées, les chefs-d’œuvre ont fait des prix élevés, les tableaux sont revenus à des prix solides, les taux de ventes sont très bons. Mais si l’on regarde dans le détail, on s’aperçoit que Christie’s a vendu plutôt aux estimations basses ou au prix, et que peu d’œuvres ont suscité de vraies guerres d’enchères. Nous ne revenons pas au marché d’il y a deux ans, il est aujourd’hui plus étroit et plus frileux. »

Du côté de l’art impressionniste et moderne, l’événement a été le retrait du lot star de Sotheby’s, la Danaë (1909) d’Egon Schiele, estimée entre 30 et 40 millions de dollars. Annoncé en préambule de la vente, il signait manifestement un manque d’intérêt des collectionneurs. Hormis une belle performance pour une composition suprématiste de Malevitch (21,1 millions de dollars), la suite de la soirée n’a pas été très brillante pour la maison qui a totalisé 173,8 millions de dollars (155,2 millions d’euros), dans l’estimation basse (révisée avec le retrait du Schiele). Christie’s, quant à elle, réalisait une très belle vente avec 289,2 millions de dollars de chiffre d’affaires (258 millions d’euros), son meilleur résultat depuis 2010. Le total global des deux auctioneers était tout de même en hausse de plus de 60 % par rapport à l’an passé, un fort mauvais cru. À noter, chez l’un et l’autre, une grande partie des lots sont restés sur le carreau (74 % de taux de ventes pour Sotheby’s et 78 % pour Christie’s). Chez Christie’s, il faut remarquer la présence de deux toiles de Picasso dans le top 10, dont un portrait de Dora Maar (45 millions de dollars), spolié au marchand d’art Paul Rosenberg pendant la Seconde Guerre mondiale. La tendance forte de ces ventes a pourtant été le succès de la sculpture moderne, copieusement représentée. La Muse endormie de Brancusi a ainsi établi un nouveau record pour l’artiste chez Christie’s, à 57 millions de dollars, aux côtés d’un bronze d’Henry Moore (8,2 millions de dollars). Chez Sotheby’s, c’est Max Ernst qui a grimpé un nouveau palier à 15,9 millions de dollars, avec son bronze Le roi jouant avec la reine (1944). Globalement, si tous les indicateurs de ces sessions d’art impressionniste, moderne et contemporain ne sont pas encore au beau fixe, le marché a incontestablement repris des couleurs après le trou d’air des dernières saisons.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°480 du 26 mai 2017, avec le titre suivant : À New York, le marché reprend des couleurs

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