Art brut

Les poupées de Michel Nedjar

Par Éric Tariant · Le Journal des Arts

Le 10 mai 2017 - 436 mots

Le LaM à Villeneuve-d’Ascq consacre une rétrospective à cet artiste singulier, cofondateur de L’”‰Aracine, qui a donné sa collection d’art brut au musée.

VILLENEUVE-D’ASCQ - Le prisonnier se tient debout derrière des barbelés, le regard vide, comme hanté par ce qu’il a vécu. Sa silhouette couleur de cendre se détache sur un fond rouge vif figurant une explosion de flammes qui le menace. Michel Nedjar a réalisé cette huile en 1962, alors qu’il était encore adolescent, peu de temps après avoir vu le documentaire Nuit et Brouillard (1955) d’Alain Resnais qui lui a révélé l’enfer des camps de concentration. « J’étais rempli de morts. J’ai compris que parce que j’étais juif, on pouvait me détruire. »

Exhumer les morts
À côté de cette œuvre, cri d’horreur contre la barbarie, se trouve une curieuse poupée à deux têtes présentée dans une vitrine ; plus loin, une ribambelle de masques voisinent avec de sombres et tragiques poupées, datant des années 1978-1986, faites de tissus récupérés plongés dans des bains de boue, de sang animal, d’eau saumâtre et de teinture. « Je me suis mis à créer des poupées comme d’autres prennent des médicaments. J’ai commencé à fabriquer des poupées pour m’en sortir », explique Michel Nedjar à la journaliste Françoise Monnin dans un livre d’entretiens (Michel Nedjar. Le chantier des consolations, éd. La Bibliothèque des arts, 2017). Créer lui permet d’exhumer les morts qui le hantent. De conjurer le malheur et le désespoir.La rétrospective du LaM, remarquablement mise en scène, couvre plus de quarante-cinq années de création. Depuis la naissance de sa vocation, au début des années 1960, après avoir découvert une œuvre d’Aloïse Corbaz (« si “ça” c’est possible, si “ça” c’est reconnu comme de l’art, tout est ouvert pour moi, tout est possible ») jusqu’à l’année 2016. Elle suit un parcours chronologique qui permet d’appréhender les thèmes centraux de son œuvre (la mémoire, la mort, le corps, le primitivisme) et la diversité des approches (peinture, dessin, sculpture, film). Salle après salle, on découvre également les rencontres – celles d’Alain Bourbonnais, de Jean Dubuffet et de Daniel Cordier – qui lui ont permis de se faire une place dans le monde de l’art brut, puis dans celui de l’art contemporain.

En 1986, la lecture d’un article de Roger Cardinal l’amène à abandonner temporairement ses poupées pour se consacrer au dessin, domaine dans lequel il excelle comme en témoignent ses poignantes séries « Les foules » et « Icônes » figurant un enchevêtrement inextricable de figures. Ses créations les plus récentes, telles ses lumineuses « Poupées Pourim » et autres « Poupées coudrées », révèlent un artiste beaucoup plus serein. Michel Nedjar serait-il enfin parvenu à conjurer cette longue période de nuit et de brouillard ?

MICHEL NEDJAR, INTROSPECTIVE

Jusqu’au 4 juin, LaM, Lille-Métropole, 1, allée du Musée, 59650 Villeneuve-d’Asq.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°479 du 12 mai 2017, avec le titre suivant : Les poupées de Michel Nedjar

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