XXe siècle

Rick Wouters le moderne belge

Par Itzhak Goldberg · Le Journal des Arts

Le 10 mai 2017 - 770 mots

Sous influence nabie, fauve ou cézanienne, sa peinture est, paradoxalement ou pour cette raison même, méconnue en France. La Belgique lui offre une belle rétrospective.

BRUXELLES - La critique belge a réservé un accueil favorable unanime à la rétrospective de Rik Wouters (1882-1916). Impeccablement accrochée, elle est très complète, grâce à l’effort commun des Musées royaux des beaux-arts de Belgique à Bruxelles et du Musée des beaux-arts d’Anvers. Certes, la brève existence de l’artiste – il meurt à l’âge de 36 ans – ne lui a pas permis de réaliser une production très vaste : le catalogue raisonné mentionne 220 tableaux. Et les historiens de l’art de s’adonner avec joie à cet exercice, captivant mais vain, qui consiste à deviner l’évolution de Wouters si sa mort n’avait mis fin prématurément à sa carrière.

Wouters, presque totalement inconnu en France, est un artiste immensément populaire en Belgique. Le mot « populaire » est choisi à dessein car il s’agit d’une peinture très séduisante. Chatoyante, colorée, elle semble ignorer les tensions et les drames de l’existence et met en scène un quotidien paisible, à l’intimisme chaleureux. Le parcours ici est chronologique et ce sont les mêmes thèmes classiques – portraits, autoportraits, scènes d’intérieur, paysages – qui reviennent à différentes périodes. Selon les commissaires, il s’agit d’« une peinture sans message », autrement dit d’une œuvre qui établit un rapport sans médiation à la réalité. Affirmation un peu réductrice, car Wouters, comme tout artiste, transpose le réel. Cependant il s’agit d’un art qui s’éloigne du symbolisme prépondérant à la fin du siècle et de ses préoccupations métaphysiques.

Partant d’un style presque académique qui fait appel à une gamme chromatique sobre (Portrait d’un homme, 1899-1902), le peintre va éclaircir sa palette et alléger la facture, à mesure que les transformations esthétiques impressionnistes exercent leur séduction. Un voyage à Paris en 1912 confirme cette évolution où la lumière prend de l’importance. Mais c’est la découverte de Cézanne et de sa construction par la modulation de la couleur qui marque profondément le style de Wouters. Comme le maître d’Aix, il compose dès lors ses toiles à partir de touches séparées, en laissant des réserves, des zones où la toile apparaît à nu (Fenêtre ouverte sur Boitsfort, 1914). On est frappé par le jeu récurrent entre les taches de couleur sur le visage et leurs équivalents sur le fond de la toile, qui lie la composition (Portrait de Simon Lévy, 1913). De même, la densité cézanienne est présente dans les deux beaux paysages de forêt (Ravin A et Ravin B, 1913).

Coutumier d’échanges avec la peinture française comme avec les fauves, Matisse essentiellement, Wouters n’est pas insensible à l’expressionnisme allemand qu’il découvre lors de la célèbre exposition internationale de Cologne (« Sonderbund », 1912). Ainsi, Homme lisant est un dessin réalisé à l’aide de contours puissants et suggestifs, tandis que le portrait de sa femme se reflétant dans la fenêtre, Automne (1913), use de lignes anguleuses qui évoquent celles de Die Brücke. Son épouse, surnommée Nel, modèle quasi exclusif, a contribué, par les innombrables représentations dont elle fut l’objet, à la légende dorée associée à l’artiste.

Un art léger et aérien

Parallèlement à la peinture et au dessin, Wouters pratique la sculpture, qui n’échappe pas à l’influence écrasante de Rodin ni à celle de Bourdelle. Si la sculpture la plus connue, La Vierge Folle (1912), est une figure en position de contrapposto excessif, la femme qui se penche en avant dans Attitude (1908) adopte une position plus convaincante.

Vers la fin de la décennie, Wouters, entouré de Schirren, Paerels et de Kat, devient le chef de file d’un groupe dénommé « fauvisme brabançon ». Cette forme du fauvisme tempéré s’affirmera dans l’exposition de 1913 dans la galerie bruxelloise Giroux, avec laquelle l’artiste est désormais sous contrat. La fin de la vie de Wouters est tragique : engagé en 1914, il est fait prisonnier, puis en 1915, après de longues souffrances, il meurt d’un cancer. Son autoportrait ultime, affublé d’un bandeau sur l’œil, est l’une des rares images pessimistes de cette œuvre qui respire, sinon le bonheur parfait, du moins une tranquillité apaisante. Renoir n’est pas loin de cet art léger et aérien.

Ce rapprochement interroge sur l’ignorance de l’œuvre de Wouters en France. Tout laisse à penser qu’elle est due justement à cette proximité troublante du peintre belge avec la peinture française, de l’intimisme des nabis aux prémonitions du fauvisme, sans pour autant atteindre leur hardiesse. On peut toutefois accorder à l’artiste une capacité étonnante à établir des interactions avec ces nouvelles tendances tout en gardant des inflexions personnelles. Autrement dit, cette production picturale à regarder non pas à travers le filtre français mais replacée dans son contexte belge. Wouters, un artiste à aimer avec modération ?

Rik Wouters, rétrospective
Jusqu’au 2 juillet, Musées royaux des beaux-arts de Belgique, rue de la Régence 3, Bruxelles.

Légende Photo
Rik Wouters, Portrait de Rik (sans chapeau), 1911, huile sur toile, 30 x 32 cm, collection particulière. © Photo : Vincent Everarts.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°479 du 12 mai 2017, avec le titre suivant : Rick Wouters le moderne belge

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