Art contemporain

Ha Chong-Hyun, la force du monochrome

Par Henri-François Debailleux · Le Journal des Arts

Le 27 avril 2017 - 654 mots

PARIS - Lors de la dernière Foire internationale d’art contemporain, il y avait sur le stand d’Almine Rech un tableau bleu de Ha Chong-Hyun.

Il a d’ailleurs tout de suite trouvé acquéreur et aurait même pu être vendu plusieurs fois. On en redécouvre un autre du même ordre, Conjonction 16-101 (2016), de ce même bleu nuit, bleu-noir, qui rappelle certains toits de maisons coréennes traditionnelles, dans cette première exposition personnelle que la galerie consacre à l’artiste sud-coréen (né à Sancheong en 1935, il vit et travaille à Séoul). Ce n’est pas la première à Paris, puisqu’il avait déjà eu en 1999 un solo show à l’Espace Ricard.

Sans être une rétrospective (la plupart des œuvres datent des trois dernières années), la sélection de ces dix-huit toiles fait un important rappel historique en présentant Untitled 72.C, un tableau de 1972 symboliquement engagé, puisque réalisé avec un tissu et du fil barbelé, caractéristique de l’époque où l’artiste, alors assez pauvre, récupérait des matériaux (notamment beaucoup de papiers) dans la rue. Ce qui ne tombait d’ailleurs pas si mal, car, ainsi qu’il le rappelle, « avec d’autres amis artistes, [ils voulaient] vraiment faire quelque chose de nouveau, [se] différencier de ce qui se faisait alors. Il y avait différents groupes avant-gardistes et [ils recherchaient] de nouvelles pistes, avec beaucoup d’énergie, mais sans moyens ».

C’est cette même volonté « d’aller toujours plus loin » qui va le conduire dès le milieu des années 1970 à travailler ses toiles à l’envers. Un procédé qu’il n’a depuis jamais abandonné et qui le voit étaler la couleur au verso et la faire passer par les trous de la toile de lin ou de chanvre au maillage assez aéré. Il la reprend alors à l’endroit et racle au couteau, quelquefois au doigt, le surplus de peinture qui a traversé le support. Selon la taille du geste et de l’outil, les traces obtenues sur le recto prennent la forme de grands balayages, de longues lignes, de petits tirets, d’aplats qui distribuent des espaces différents, attrapent la lumière de façon variée et donnent son mouvement, sa cadence à chaque tableau. Celui-ci, toujours monochrome, ocre, gris, noir, bleu, devient alors un champ de résonances et de rythmes générés par ces sillons, ces stries, ces strates, ces traces et ces traits que l’on pourrait parfois prendre pour des signes et qui ne sont en fait que le résultat d’un geste rapide, tendu, parfaitement contrôlé.  Ce qui frappe, en effet, face aux œuvres de Ha Chong-Hyun, c’est leur puissance, leur densité, leur sérénité, conséquence d’une très grande maîtrise qui, seule, permet cette cristallisation, cette « conjonction » (comme l’indique leur titre) des forces du monde.

L’avant-garde coréenne
Les prix sont rondelets : compris entre 150 000 et 385 000 dollars. Ils s’expliquent par le fait que, si Ha Chon-Hyun a été peu montré en France, il est loin d’être un inconnu sur la scène mondiale, surtout depuis que de grosses galeries internationales (notamment Blum & Poe, à New York, Los Angeles et Tokyo) se sont penchées sur les artistes coréens et principalement ceux du Dansaekhwa qu’elles exposent dans les plus grandes foires. Rappelons que Dansaekhwa qui signifie « une seule couleur » et par commodité désormais traduit « le monochrome coréen », est un mouvement artistique regroupant des artistes d’une même génération (Lee Ufan, Park Seo-Bo, Chung Sang-Hwa...) représentatifs des avant-gardes coréennes de la fin des années 1960- début des années 1970. Ils ont été regroupés sous cette appellation au début des années 2000 par l’historien et critique d’art Yoo Jin-Sup, ce qui fait du mouvement une construction a posteriori, même si à l’époque ils travaillaient tous dans des directions assez proches. S’ils se reconnaissent aujourd’hui en partie sous ce nom bien pratique sur un plan commercial (d’où les prix), la plupart déplorent cependant la réduction de leur démarche à ce seul aspect de la monochromie. « Je suis partagé, car d’un côté cela a beaucoup contribué à nous faire connaître et de l’autre, nos démarches, différentes, vont bien au-delà d’un simple rapport à la couleur », indique l’artiste. À juste titre.

HA CHONG-HYUN

Jusqu’au 3 juin, galerie Almine Rech, 64 rue de Turenne, 75003 Paris.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°478 du 28 avril 2017, avec le titre suivant : Ha Chong-Hyun, la force du monochrome

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