Que sont devenus les salons historiques ?

Par Élisabeth Santacreu · Le Journal des Arts

Le 27 avril 2017 - 1290 mots

Au XIXe siècle, on se battait pour y participer, les critiques s’y écharpaient et le public s’y pressait. Aujourd’hui, ces « vieux salons » ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes et ils redoutent l’avenir.

FRANCE - « Certes, le jugement du public à tête de veau n’est pas plus sûr que celui du jury palmé, ni que celui des esthétistes et des critiques d’art raisonneurs ; mais un objet d’art doit être vu de tout le monde, sans excepter les imbéciles ; il doit se manifester, afin de se constater lui-même. C’est sa condition d’être. Il y a toujours trois ou quatre personnes qui comprennent et sauvent un chef-d’œuvre. » Dans le livre La Peinture en 1863 présentant le Salon des refusés, Fernand Desnoyers donnait magistralement la justification d’un salon d’artistes, au point qu’on pourrait afficher ses mots au-dessus de l’entrée du Grand Palais à côté de ceux gravés par le président Émile Loubet : « Monument consacré par la République à la gloire de l’art français ».

Le Salon « officiel » et le Salon des refusés existent toujours (devenus le Salon des artistes français en 1881 et le Salon des indépendants en 1884) et ils se tiennent ensemble pendant cinq jours sous le titre Art Capital, dans ce palais construit pour eux. Aujourd’hui, ils partagent l’espace avec Comparaisons et le Salon du dessin et de la peinture à l’eau, fondés en 1954. Deux autres salons historiques subsistent également : celui des Beaux-Arts, depuis 1890, et le Salon d’Automne, depuis 1903. Plusieurs salons ont vu le jour au XXe siècle : Abstraction Création en 1931 auquel succède le Salon des réalités nouvelles en 1946, Jeune Peinture en 1949 devenu Jeune Création en 1999, mac2000 devenu macparis, le Salon de Montrouge… Beaucoup ont disparu, tels le Salon d’Hiver, le Salon de Mai, le Salon des Tuileries ou Saga.

Quant aux « vieux salons », ils ont souffert. Depuis la réouverture du Grand Palais, en 2007, on ne leur laisse plus la nef que pour quelques jours chaque année. Lorsque le lieu avait fermé pour travaux en 2002, ils vivotaient dans l’indifférence. À cette époque, tous les salons, y compris les plus récents, connaissaient une désaffection du public. Les plus impactés furent les salons historiques : parce qu’ils défendent un certain éclectisme, ils ne plaisaient plus à personne. Les révolutions de palais à l’intérieur de chaque salon et les rivalités entre eux absorbaient leur énergie depuis des années, incitant les artistes à partir vers d’autres cieux. Depuis dix ans, il a fallu beaucoup de travail et d’abnégation aux présidents et membres des bureaux successifs pour rattraper ces erreurs et insuffler de nouveau un peu de vie à leur manifestation.

Mais la partie n’est pas gagnée. Lorsqu’on fait remarquer à Martine Delaleuf, architecte et peintre, présidente de la Société des artistes français, que les foires (telle la Fiac), reçoivent deux fois plus de visiteurs et présentent des artistes extrêmement connus, elle répond : « Notre but n’est pas d’être dans le business, c’est de faire émerger le maximum de gens et, éventuellement, de nouveaux talents. » Bien sûr, elle sait que ces perles rares s’en vont le plus souvent, mais, précise-t-elle, « il y a des artistes qui restent très fidèles. Auguste Rodin a exposé une quinzaine de fois chez nous, de même que Camille Claudel, huit fois, Paul Landowski, une trentaine de fois. » À croire que le temps n’existe pas ! Martine Delaleuf le confirme : « Nous, nous avons une vision sur le long terme. Peut-être est-ce déstabilisant pour le public. »

Il n’y a pas que les simples visiteurs pour être déstabilisés. Le collectionneur Jean-Claude Volot n’y va pas par quatre chemins : « Les vieux salons, j’y suis allé autrefois. Je n’y trouvais rien, donc je n’y vais plus ! » Pourtant, il cherche de nouveaux artistes partout dans le monde, au gré de ses voyages, du « marché hippie » de Rio ou des petites galeries cachées à La Havane. Mais, dans les salons historiques, s’amuse-t-il, « on se rend rapidement compte que c’est assez ringard. Les organisateurs ont tendance à recruter des artistes de leur génération et, d’une année sur l’autre, on n’a pas l’impression de voir des nouveautés. » Alin Avila, historien et critique d’art, directeur de la revue Area, ne dit pas autre chose : « en art, celui qui innove est la branche qui contient encore de la sève. Dans ces salons, je vois tous les fruits stériles. Le plus souvent, on se contente d’y réviser l’histoire de l’art. »

« 50 000 artistes font l’art français »
Cependant, Alin Avila ne croit pas que la médiocrité de bon nombre d’œuvres présentées soit due aux jurys d’admission de ces salons (seul le Salon des indépendants se refuse à la sélection des exposants). Pour lui, elle est le fruit de l’organisation actuelle du monde de l’art. De son point de vue, la critique d’art ne joue plus son rôle. Dans leur livre Le Marché de l’art contemporain, Nathalie Moureau et Dominique Sagot-Duvauroux expliquent comment le travail de prescription, qui était dévolu aux critiques d’art depuis le XVIIIe siècle, a disparu avec l’art contemporain. « Sous l’Académie, il était possible d’apprécier la valeur d’une œuvre sans en connaître l’auteur. Cela est rigoureusement impossible aujourd’hui », précisent-ils, ajoutant : « on ne peut plus juger une œuvre de façon isolée sans se reporter au reste de la production de l’artiste. » Car, avec l’art contemporain, « le génie créateur prend le pas sur l’artisan ou le savant. » Le nouveau monde de l’art sélectionne les artistes selon la « convention d’originalité ». Plus que les critiques, ce sont désormais les marchands internationaux et les grandes maisons de ventes aux enchères qui deviennent les « instances de légitimation » et déterminent l’achat. Tant que ce schéma domine, les salons sont hors circuit.

Pourtant, Alin Avila défend ces manifestations. D’une part, estime-t-il, « 50 000 artistes font l’art français. Ils ont besoin de structures. » Il a réalisé récemment une enquête auprès des lecteurs d’Area pour comprendre « ce qui motive une femme, un homme, à consacrer ses forces, son énergie et son esprit au service de la création ». Les réponses n’étonnent pas : un tel engagement naît d’une urgence intérieure. « Pour donner une vitrine à cette nécessité ontologique, remarque-t-il, la plupart de ces artistes ont un besoin absolu des salons. » En outre, la participation à un salon historique permet d’être reconnu comme artiste professionnel, en particulier pour obtenir une assurance sociale. Enfin, il s’agit pour lui de liberté et d’égalité : « Il y a une tendance de la critique et de l’institution à se débarrasser de ces indépendants qui font des choses qui ne correspondent pas au goût du temps, au diktat d’un art du moment. Les mépriser est terrible du point de vue de la démocratie. »

Mais comment retrouver une place sur la scène artistique ? « Les salons ont perdu leur pertinence théorique car ils ne sont plus le lieu d’un débat mené par les artistes et les critiques », martèle Alin Avila. Il y a d’un côté les artistes des salons auxquels sont attribués des prix dont ils s’auto-congratulent et puis de l’autre, ceux qui créent dans la mouvance d’un art officiel (le nouveau visage de l’académisme) et auxquels va la reconnaissance des institutions (subventions du ministère de la Culture, achats des Fracs). Pour redonner aux artistes l’envie de se montrer dans ces salons et au public de venir y faire son opinion, il suffirait que la critique se montre rebelle aux puissances de l’argent présentes dans l’art contemporain, et que l’État ne se mêle plus de dicter le bon goût. Comme en 1863, au temps de Fernand Desnoyers !

Les Salons historiques

1667
Première exposition organisée par l’”‰Académie royale de peinture et de sculpture, ancêtre du « Salon ».

1881
La Société des artistes français prend en charge l’organisation du « Salon ».

1884
Création du Salon des indépendants. Seurat y expose La Baignade à Asnières.

1890
Création du Salon de la société nationale des beaux-arts, présidé en 1891 par Pierre Puvis de Chavannes.

1903
Création du Salon d’Automne. En 1905 les Fauves Matisse, Marquet, Camoin... y exposent.

1946
Création du Salon des réalités nouvelles.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°478 du 28 avril 2017, avec le titre suivant : Que sont devenus les salons historiques ?

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