Vidéo

Peter Campus, le sentiment de la nature

Par Christophe Domino · Le Journal des Arts

Le 14 mars 2017 - 849 mots

Le Jeu de paume présente la première monographie en France de cette figure historique de l’art vidéo. Son intérêt pour l’expérience du spectateur s’est déporté aujourd’hui vers le paysage.

PARIS - C’est un long parcours d’artiste que résume en 23 pièces l’exposition du Jeu de paume, à Paris, consacrée au travail de l’Américain Peter Campus, né en 1937. Pionnier de l’art vidéo, défricheur dans ses langages et ses moyens, l’artiste, plutôt bien représenté dans les grandes collections internationales mais guère en France (sinon au Musée national d’art moderne), n’avait encore jamais été exposé en France. Aussi était-il temps d’ajouter à la connaissance « anthologique » de l’œuvre la vision des pièces.

Si l’artiste est assimilé à raison aux formes de l’interaction, le Jeu de paume ne lie pas sa démarche à un déploiement technologique : l’attention à l’expérience du spectateur prime sur le dispositif, les moyens techniques servent le plus souvent une économie visuelle qui atteint à une justesse de l’image. L’interaction est centrale en effet puisque plusieurs pièces historiques jouent avec l’image du spectateur. Avec Kiva (1971), qui ouvre le parcours, le dispositif tient du bricolage ludique : une caméra de surveillance et un moniteur noir et blanc en circuit fermé renvoient au visiteur son image démultipliée et fragmentée par deux petits miroirs, qui forment un mobile sensible aux courants d’air. Il y a du jeu, du hasard, et la sollicitation d’un regard qui se fait bientôt méditatif. Il y a aussi du dédoublement, de l’inversion, du retard avec : Optical Sockets (1972-1973), dont les images de quatre caméras de surveillance se croisent et s’enchevêtrent sur autant de moniteurs, jusqu’à brouiller les points de vue du spectateur sur lui-même ; Dor (1975), où l’image du spectateur s’efface en même temps qu’il la découvre, entre Tantale et Narcisse ; Interface (1972) et Anamnésis (1973), qui dédoublent le spectateur dans le temps et l’espace. La dimension ludique – qu’à grand renfort de selfies les spectateurs tentent de déjouer en la fixant – rejoint un très classique art du portrait et du memento mori, qui culmine avec Head of a Man With Death on His Mind (1977-1978) : ici, un plan serré sur un visage à l’expression d’une gravité neutre semble figé, presque photographique, aussi spéculaire qu’anti-spectaculaire.

Peter Campus associe lui-même son travail du début des années 1970 aux expérimentations alors tous azimuts de la scène new-yorkaise, quand la performance, à la croisée de Fluxus et des pratiques chorégraphiques, ouvre le champ à l’expérience directe du spectateur. Sur écran, les séquences filmées de gestes qui se glissent dans la fabrique de l’image, ici déchirée comme une feuille de papier, là défaite par ses propres composantes, viennent défier la naïveté du regard, en explorant les moyens techniques de l’image électronique, ceux du trucage par exemple.

La matérialité de l’image
Le jeu sur la matière même de l’image demeure le fil tendu du parcours, au gré des déplacements de la pratique, dont la vidéo cependant reste le centre de gravité. L’artiste décrit la liberté qu’il se donne quand, dans le courant des années 1980, la photographie prend le pas : « Le passage de la vidéo à la photographie s’est fait en douceur. Je ralentissais l’image, j’avais envie de l’arrêter et puis je recherchais quelque chose de moins électronique, de plus permanent. L’abandon du portrait, par contre, a été très brutal. […] Pour exprimer mes sentiments, je me sens plus à l’aise de passer par le paysage. » (in volume paru aux éditions Anarchive, p. 81). Et en effet, la seconde partie du parcours s’attache à des espaces paysagers, se rapproche de la photographie et de la peinture. Chaque projet redéfinit ses options techniques. D’abord photographiques et montrées en projection haute définition – plus apte selon Campus à restituer leur matérialité –, les quatre pierres sur fond noir de 1987 sont à la fois géographiques et physionomiques, montagnes et visages, portées par la seule lumière de la projection.

Plus loin, les écrans de A Wave (2009) et Barn at North Fork (2010), pièces que l’artiste désigne comme de la « vidéographie », empruntent à la peinture sa forme tableau, mais la touche y est rejouée par une pixellisation vacillante, à la fois grossière et subtile, produite par un travail de bidouillage patient, dans le plan fixe de 24 minutes.

Paysage encore, qui ne se départit pas d’un certain pittoresque cette fois, dans la récente installation qui clôt le parcours, commande du Jeu de paume. Dans Convergence d’images vers le port, quatre séries de courts plans réalisés dans le port de Pornic s’évanouissent tour à tour en noir et blanc toutes les 40 secondes sur les quatre murs d’une salle. La définition de l’image, le traitement de la couleur, le ralenti fin, tout vise à mettre le spectateur dans un état de suspens, devant cette rétention prometteuse de l’image. Non sans malice, le titre de l’exposition, « Video ergo sum », ouvre à juste titre du côté du sujet, du moi et de son dédoublement, et d’une raison sensible.

CAMPUS

Commissaire : Anne-Marie Duguet, docteure en sciologie de l’art et critique d’art
Nombre d’œuvres : 23

Peter Campus, video ergo sum

Jusqu’au 28 mai, Jeu de paume, 1, place de la Concorde, 75008 Paris, tél. 01 47 03 12 36, www.jeudepaume.org, tlj sauf lundi 11h-19h, mardi jusqu’à 21h, entrée 10 €. Catalogue, coéd. Jeu de paume/Anarchive, 3 livrets sous étui cartonné, 45 €.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°475 du 17 mars 2017, avec le titre suivant : Peter Campus, le sentiment de la nature

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