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Arturo Galansino, directeur du Palazzo Strozzi à Florence

Arturo Galansino bouscule la programmation et l’image du Palazzo Strozzi qu’il dirige à Florence depuis deux ans

Par Carole Blumenfeld · Le Journal des Arts

Le 15 février 2017 - 1533 mots

FLORENCE / ITALIE

Arturo Galansino, 40 ans, bouleverse depuis deux ans l’image classique du Palazzo Strozzi, en faisant place dans sa programmation à des thèmes d’une actualité brûlante.

« Ai Weiwei. Libero » (« Ai Weiwei. Libre »), qui vient de fermer ses portes au Palazzo Strozzi, a été, Biennale de Venise mise à part, l’exposition d’art contemporain payante la plus visitée de tous les temps en Italie : 150 000 visiteurs dont 44 % franchissaient les portes du palais pour la première fois et 20 % étaient venus spécialement à Florence. Un coup de maître pour Arturo Galansino le nouveau directeur qui vient d’annoncer qu’en 2016 le Palazzo Strozzi a réalisé ses meilleurs chiffres de fréquentation depuis sa transformation en lieu d’expositions.

Parfum de scandale
Avant même son ouverture, l’exposition faisait déjà la « une » des quotidiens italiens. À deux semaines du vernissage, les partis de droite et d’extrême droite s’étaient tous ligués contre l’événement et le Corriere Fiorentino daté du 13 septembre 2016 rapportait les critiques qui fusaient sur les réseaux sociaux : « Horripilant ! », « S’il vous plaît. Il n’y a pas d’humanité dans ce non-art »… Quatre jours plus tard, Il Giornale comptabilisait déjà 8 000 commentaires sur le site Internet du musée, sans oublier les attaques visant le maire de Florence sur son profil Facebook.

D’un côté, les défenseurs d’une Florence « comme avant » étaient offusqués de découvrir les vingt-deux radeaux de survie rouges et orangés accrochés à la façade Renaissance du palais Strozzi (certains ont parlé de « profanation », notamment dans Il Foglio [13 sept.] où l’auteur considérait l’œuvre comme une quintuple humiliation pour l’Italie). De l’autre, les conservateurs en délicatesse avec les engagements politiques de l’artiste critiquaient ce qu’ils qualifiaient de « mise à l’honneur des immigrés ». Pendant plus de quatre mois, opposants et partisans se sont affrontés sur la Toile et la presse, et ce, bien au-delà des espaces habituellement réservés aux événements artistiques. Arturo Galansino, impassible face à ses détracteurs qui l’accusaient d’être un « radical chic » -– ses costumes anglais en tweed taillés sur mesure et ses cravates vintage Hermès sont l’élégance même –, a rappelé très sereinement que « c’est le propre de l’art d’être source de dialogue ».

« Sortir de son confort »
Le directeur du Palazzo Strozzi est comme un poisson dans l’eau sur la scène publique. En décidant de consacrer l’année 2016 au thème de l’immigration, il avait décidé de frapper fort : le sujet est brûlant en Italie où près de 181 500 personnes sont arrivées en 2016 et près de 5 000 sont mortes en tentant de rejoindre les côtes. Il a déroulé un programme pour le moins « militant », destiné à éveiller les consciences. Au printemps, l’exposition « Liu Xiaodong : Migrations » (22 avril-19 juin 2016) mettait en lumière la communauté chinoise de Prato, la troisième en Europe qui incarne un modèle d’immigration permanente. « Ai Weiwei. Libero » (23 septembre 2016-22 janvier 2017) traite quant à elle d’un phénomène migratoire plus récent, né des guerres qui déchirent le pourtour méditerranéen. « L’installation Reframe, sur un palais symbole de la culture humaniste et des valeurs qui sont le socle de notre identité culturelle européenne, a eu indéniablement une portée symbolique très forte, et ce, bien au-delà de l’Italie. Ai Weiwei a mis l’accent sur ce cri d’une humanité en danger, et en même temp il a voulu mettre en garde l’Occident sur une question qu’elle ne peut plus esquiver », explique-t-il.

Entre deux avions – il est invité à participer à une table ronde lors de la Jeddah Art Week, en Arabie saoudite –, il assure qu’il n’avait aucune intention de provoquer en invitant Ai Weiwei. Il y a gagné surtout quelques soutiens de poids. Le très influent professeur Tomaso Montanari, qui collabore à La Répubblica et est connu pour ses positions critiques à l’égard de la « rhétorique privée du Palazzo Strozzi », nous a confié que « l’arrivée d’Arturo Galansino, un vrai chercheur, nourri d’expériences internationales, a été une formidable nouvelle. Jusqu’à présent, la ville de Florence s’était contentée d’organiser des dialogues très artificiels entre l’art ancien et l’art contemporain avec des œuvres créées il y a dix ou vingt ans dans des contextes tout à fait différents – œuvres littéralement  “plantées” sur la Piazza della Signoria. L’œuvre d’Ai Weiwei a été pensée pour la façade du Palazzo Strozzi et c’est la raison pour laquelle elle a eu un tel impact sur les Florentins. Alors que la ville mise tout sur le luxe aujourd’hui, l’artiste chinois nous contraint à regarder en nous et à sortir de notre confort ».

Le goût des défis
Rien ne prédestinait Arturo Galansino à un tel rôle « politique ». Le curriculum vitae de l’Italien originaire de Nizza Monferrato, une petite ville à mi-chemin entre Gênes et Turin où l’une des rues porte le nom de son grand-père médecin et résistant Arturo Galansino, est impeccable. Docteur en histoire de l’art diplômé de l’université de Turin, après une année à l’Institut national d’histoire de l’art à Paris comme chercheur invité, il a été l’une des chevilles ouvrières des expositions « Mantegna » (2008-2009) et « Titien, Tintoret, Véronèse… » (2009-2010) au Musée du Louvre, avant d’être nommé assistant curator (conservateur ajoint) à la National Gallery où il s’est distingué avec « Leonard de Vinci. Peintre à la cour à Milan » (2011-2012). Curator of exhibitions (conservateur des expositions) à la Royal Academy of Arts à Londres où il a démontré avec « Moroni » (2014-2015) et « Au temps de Giorgione » (2016) que l’art ancien y avait sa place, et ce sans éluder la difficulté, ainsi pour « Giorgione», exposition spectaculaire autour d’une problématique historiographique et de questions d’attribution insolvables.

Son arrivée à la tête du Palazzo Strozzi fut pourtant une surprise. En succédant au bouillonnant James Bradburne (lire le JdA no 469, 9 déc. 2016), le pari était risqué. La direction de la Fondazione Palazzo Strozzi, mi-publique mi-privée, présidée par un conseil d’administration indépendant, nécessite de sérieuses capacités de gestionnaire et surtout un carnet d’adresses étoffé pour trouver des fonds puisque les crédits publics avaient été coupés et ne représentent plus aujourd’hui que 20 % du budget annuel. Le Palazzo Strozzi comme la Royal Academy of Arts (Londres) ne possédant pas de collections, il faut donc convaincre les institutions de prêter leurs œuvres pour les expositions sans pouvoir offrir de contrepartie. Neville Rowley, conservateur à la Gemäldegalerie et au Bode Museum de Berlin, raconte : « Lorsqu’il vient nous présenter ses prochains projets, il nous donne tout de suite envie d’y participer. Il confie certes les commissariats aux meilleurs spécialistes, mais, en même temps, il donne une impulsion bien à lui pour transformer des sujets très pointus en expositions qui attirent un large public. » Même le pape est venu ! En 2015, la photographie de François devant la Crucifixion blanche de Chagall (The Art Institute, Chicago) aux côtés du directeur du Palazzo Strozzi a fait le tour de la presse italienne… et l’exposition « Bellezza divina tra Van Gogh, Chagall e Fontana » (La beauté divine entre Van Gogh, Chagall et Fontana) [2015-2016] a accueilli près de 175 000 visiteurs !

Rôle de l’historien de l’art
S’il est beau parleur, Arturo Galansino botte en touche face aux questions personnelles avec l’euphémisme typiquement piémontais, se cachant derrière la politique du Palazzo Strozzi. Il a un air presque gêné quand on lui fait remarquer que le « G. G. » dont il a publié une correspondance avec André Berne-Joffroy dans son introduction au Dossier Caravaggio, était son oncle Giorgio Galansino, spécialiste de Jean Fautrier. Ses engagements actuels sont pourtant dans la droite ligne de ceux des historiens de l’art des années 1960 et 1970 auxquels il a consacré ses recherches à l’Université.

Très jeune, il était parvenu à persuader la veuve de Giovanni Previtali (1934-1988) de lui confier les archives de l’auteur de La Fortuna dei primitivi, en l’assurant qu’il parviendrait à rendre hommage à ses combats. Sa thèse de doctorat, soutenue en 2007 et publiée sous le titre Giovanni Previtali, storico dell’arte militante (2014), est présentée comme un Bildungsroman (roman de formation) qui met en perspective les questionnements culturels et identitaires d’une époque. Il reconnaît être toujours fasciné par le personnage : « C’était l’élève le plus brillant de Roberto Longhi. Il a été capable de renouveler et de moderniser l’enseignement de l’histoire de l’art en élargissant son impact social et politique grâce à une méthodologie inédite alliant connoisseurship et marxisme. Ce qui est fondamental chez Previtali, c’est bien cette revendication du rôle actif de l’historien de l’art, dans le développement de la société. »

Luke Syson, aujourd’hui directeur du département de la Sculpture européenne et des Arts décoratifs au Metropolitan Museum of Art, à New York, se dit peu étonné des choix et des succès d’Arturo Galansino : « Je dois dire qu’une des raisons qui a penché en faveur de sa candidature à la National Gallery en 2010, c’est que j’avais entendu dire qu’il connaissait le prénom de tous les gardiens du Louvre. Arturo a une grande rigueur scientifique mais aussi cette intelligence émotionnelle qui fait qu’il aussi naturellement tourné vers les autres. Il est ainsi capable de traiter de thèmes en apparence très difficiles tout en sachant comment les rendre accessibles à tous. »

Arturo Galansino en dates

1976 Naissance à Nizza-Monferrato.

2005 Publie en Italie Le Dossier Caravaggio d’André Berne-Joffroy (5 Continents Éditions).

2007 Doctorat d’histoire de l’art.

2013 Conservateur des expositions à la Royal Accademy, Londres.

2014  Publie Giovanni Previtali, storico dell’arte militante (éd. Centro Di, Florence)

2015 Directeur du Palazzo Strozzi.

2016 « Ai Weiwei. Libero ».

2017 Exposition « Bill Viola. Rinascimento elettronico ».

En savoir plus

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°473 du 17 février 2017, avec le titre suivant : Arturo Galansino, directeur du Palazzo Strozzi à Florence

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