Vol

Vol au Musée d’art moderne : le procès

Le tribunal a examiné une suite rocambolesque de défaillances ayant abouti à la disparition de chefs-d’œuvre du musée de la Ville de Paris

Par Vincent Noce · Le Journal des Arts

Le 14 février 2017 - 1069 mots

PARIS

Le tribunal correctionnel a consacré deux jours à écouter prévenus et partie civile dans le vol de cinq tableaux de maître au Musée d’art moderne de la Ville de Paris en 2010. Si l’histoire qu’ils racontent est rocambolesque, les chefs-d’œuvre ont probablement été détruits. C’est aussi le procès d’une sécurité largement défaillante. Jugement le 20 février.

PARIS - Le procès du cambriolage commis en 2010 au Musée d’art moderne de la Ville de Paris (MAMVP) s’est ouvert lundi 30 janvier, devant une salle remplie de journalistes. Après tout, ne s’agissait-il pas d’un « des plus importants vols d’œuvres d’art de l’histoire moderne », comme l’a qualifié la procureure Anaïs Trubuilt ? Dénonçant « une atteinte irrémédiable au patrimoine de l’humanité », le parquet a requis des peines allant de sept à dix ans de prison. Le jugement est attendu pour le 20 février.

Le rideau tombé, des zones d’ombre demeurent, mais une chose est sûre : cinq œuvres signées Picasso, Modigliani, Matisse, Léger et Braque ont disparu, sans doute à jamais. Les dialogues de cette tragi-comédie auraient pu être écrits par Audiard. Au cœur du procès se trouve un gaillard d’1 m 90 que ce rituel n’impressionne guère. À 49 ans, ne reculant pas devant le vol à main armée, il a déjà passé seize années en prison. Surnommé « Spider » pour ses talents de monte-en-l’air, Vjéran Tomic dit avoir « appris le vol chez les Roms dans sa jeunesse ». Ce cambriolage, pour lui, « c’était un travail » – et un travail bien fait. Il était en cheville avec un antiquaire parisien, Jean-Michel Corvez, qui lui a parlé d’un client pour un Léger, et peut-être un Modigliani. Il assure avoir choisi le Musée d’art moderne après avoir aperçu des tableaux cubistes par les fenêtres. À l’intérieur, il a constaté que les déclencheurs des caméras ne fonctionnaient pas. Les nuits précédentes, il a dévissé une baie vitrée. Il est revenu le 20 mai 2010 à 3 h 30 pour la démonter, prenant une nature morte de Léger en pensant s’enfuir en courant. Mais aucune alarme ne se déclenche. Six salles plus loin, il va chercher un Modigliani, La Femme à l’éventail (1919). Toujours tranquille. Alors, a-t-il confié au Journal des Arts, il a ajouté trois petits formats plus commodes à déplacer, Le Pigeon aux petits pois de Picasso, une œuvre cubiste pleine de malice datant de 1911, et deux tableaux fauves, une Pastorale de Matisse de 1905 et un Braque de 1906. Cette vue de l’Estaque avait été offerte par l’artiste au musée. Avec les allers-retours à la voiture, le cambrioleur a dû rester une vingtaine de minutes sur place sans que personne ne s’en aperçoive. Les œuvres disparues sont estimées à une centaine de millions d’euros.

Un voleur « très bien informé »
La défense a exploité une expertise accablante. Les grilles ne sont pas cadenassées. L’alarme volumétrique ne fonctionne pas depuis des mois. Les écrans moniteurs au PC de surveillance sont éteints. Les tableaux ne sont pas fixés par des dispositifs de sécurité. Reste bien un film montrant un homme masqué dans les couloirs, mais l’enregistrement est de trop mauvaise qualité pour être exploitable par la Brigade de répression du banditisme (BRB). Aucune sanction ne sera jamais prise. Il faudra dépenser plus de 3 millions d’euros pour remettre la sécurité à niveau. « Il y a des appartements que j’ai visités qui sont mieux sécurisés », lâche le bandit. Il arbore une naïveté désarmante. Il avoue avoir apprécié le Matisse, « parce qu’il aime bien le nu » et qu’il a lui-même « pratiqué le nudisme, dans son enfance en Yougoslavie ». Quand il prononce « Magraïtte » pour Magritte, la salle rit, bêtement.

Me Willam Bourdon, avocat du musée et de la Ville, le trouve pourtant « très bien informé ». Ce que l’audience au tribunal oublie, c’est qu’il a choisi ces œuvres dans une fort mauvaise exposition appelée « Seconde main », qui mêlait le vrai et le faux. Au milieu des pastiches et des copies, certaines arborant de fausses signatures d’artiste, il a su repérer les quelques chefs-d’œuvre. Mais la BRB n’a jamais trouvé de complicité intérieure.

Quelques heures après le forfait, dans le sous-sol du parking de l’Opéra Bastille, les toiles passent de la Renault Espace de Tomic à la Porsche de l’antiquaire. Âgé de 62 ans, Jean-Michel Corvez ne se cache pas de travailler comme receleur. Mais ce vol, pour lequel son homme de main a touché 40 000 euros, vire à la catastrophe. L’affaire fait la « une » des médias. C’est la panique. Le client, un Saoudien ou un Émirati, on ne sait trop, s’évanouit dans les sables. La BRB est remontée jusqu’à deux frères arabes dont les affaires ont été signalées à Tracfin, le service du renseignement rattaché au ministère de l’Economie et des Finances, sans qu’ils puissent être impliqués dans la transaction. Corvez confie ce trésor encombrant à un troisième larron, un expert en horlogerie appelé Yonathan Birn. Aujourd’hui âgé de 40 ans, celui-ci s’effondre en sanglots en avouant « avoir commis la pire erreur de sa vie ».

L’aventure des pieds nickelés vire au vaudeville. Les policiers à leur tour se prennent les pieds dans le tapis. Ils ont repéré le trio, qui a été placé sous écoute. Un an après le vol, dans le cadre d’une autre enquête pour vols de tableaux et pendules, ils débarquent dans le petit atelier de Birn. Lui dit avoir roulé les toiles derrière une armoire métallique. La perquisition ne donne rien. Un policier aurait suggéré à son épouse qu’il était soupçonné dans l’affaire du musée, essayant par là de faire pression pour obtenir une restitution. Laissé en liberté, Birn panique et détruit les tableaux qu’il jette à la benne à ordures.

Une lueur d’espoir
Le directeur du musée, Fabrice Hergott, qui rejette « l’entière responsabilité » des défaillances de sécurité sur son secrétaire général, « ne veut pas croire » à cette disparition. La municipalité et l’accusation non plus. Comme des contacts sont attestés avec des avocats israéliens, il est laissé entendre que les œuvres leur auraient été vendues. Mais la procédure rogatoire n’a rien donné. Et personne n’explique pourquoi ce petit truand n’aurait pas avoué une transaction, alors que, en s’accusant de la destruction, il encourait une peine aggravée. Cette vacillante lueur d’espoir a l’avantage de minimiser l’effet dramatique d’une incroyable succession de dysfonctionnements. Le musée a même dû se défendre d’avoir une responsabilité partagée dans le vol. Le tribunal n’a pas pris la peine d’entendre le secrétaire général ou les enquêteurs ainsi mis en cause. Au-delà de l’effet d’exemplarité réclamé par le parquet, ce procès laissera un parfum de protection des autorités établies.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°473 du 17 février 2017, avec le titre suivant : Vol au Musée d’art moderne : le procès

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