Architecture

Une bibliothèque au croisement des savoirs

Par Sophie Trelcat · Le Journal des Arts

Le 31 janvier 2017 - 787 mots

La vaste médiathèque de Caen, concue par l’architecte néerlandais Rem Koolhaas, repense les relations à la culture et la lecture dans un contexte où l’information est dématérialisée et démultipliée.

CAEN - N’espérez pas vous débarrasser des livres : c’est ainsi que Jean-Claude Carrière et Umberto Eco titraient un ouvrage commun, publié en 2010. À travers une discussion savante et subjective, ils rendaient hommage aux livres et à la culture de l’esprit. Cette même année, l’agence OMA (Office for Metropolitan Architecture) fondée par Rem Koolhaas était désignée lauréate du concours pour la nouvelle bibliothèque de Caen – inaugurée le vendredi 13 janvier dernier par la ministre de la Culture Audrey Azoulay – dont la conception érudite peut s’envisager comme le pendant architectural du livre de Eco et Carrière.

Ce programme culturel est emblématique dans la production de l’OMA, qui s’est toujours distinguée par ses participations audacieuses aux grands concours internationaux de bibliothèques. À Seattle en 2004, leur première réalisation dans ce domaine était reconnue comme « la bibliothèque construite la plus importante et la plus exaltante depuis une génération, notamment à cause de sa forme » déhanchée selon les besoins ; et de fait, elle se distinguait aussi par sa performance structurelle.
À Caen, la construction de 11 700 m2, avec ses façades rectilignes, où alternent des trames de verres transparents ou dépolis, est d’apparence plus sage. Baptisée bibliothèque Alexis de Tocqueville, elle occupe la pointe de la presqu’île de Caen, un vaste territoire s’étendant du centre-ville jusqu’à la Manche qui témoigne du passé industriel de la région.

Créer lien et partage
Le site d’accueil de l’équipement, en bordure du bassin Saint-Pierre, n’était pas si facile, car lors du concours, c’était encore un no man’s land, sans éléments sur lesquels se greffer, mis à part la présence hétéroclite d’une salle de musiques actuelles, d’une école des arts et médias, de quelques îlots industriels et d’une grande pelouse sur la pointe. Depuis, un plan-guide a été établi et ce dernier vise la préservation d’une nature très riche au sein d’une urbanisation séquencée, maintenant le respect du patrimoine architectural industriel. L’enjeu étant de ramener la population en ville. Du point de vue de la commande, il s’agissait de rattacher quatre pôles de connaissance entre eux – arts, littérature, sciences et techniques, sciences humaines –, mais aussi de les faire converger au sein d’un espace partagé pour construire des liens physiques et intellectuels entre ces pôles. « Ces quatre piliers du savoir constituent des pôles de références d’une cartographie mentale dans la connaissance, qui trouvera sa solution spatiale dans l’équipement », était-il écrit dans le programme imposé.

Rem Koolhaas et son équipe, dont Clément Blanchet, associé en charge, réalisent une brillante synthèse entre ces conditions urbaines et les contraintes programmatiques. Le projet prend la forme d’une croix de Saint-André, qui résulte de la rencontre de deux axes : l’un nord-sud, reliant l’abbaye aux Dames à la gare de Caen, l’autre est-ouest entre l’abbaye aux Hommes et le nouveau quartier de la pointe de la presqu’île. Cette forme donne sens au projet en reliant virtuellement la ville historique et celle à venir, et elle apporte un maximum de lumière dans l’édifice, dont les bras de la croix sont larges de 22 mètres. Un hall d’accès traversant offre deux entrées depuis le quai et la grande pelouse à l’opposé. Ce niveau du rez-de-chaussée réunit les programmes annexes tels qu’un auditorium, une salle d’exposition, un lieu pour la consultation de la presse et un restaurant.

Éloge du vide
Au centre, un escalator suspendu permet d’accéder au premier niveau. L’arrivée crée la surprise : un gigantesque espace central, dépourvu de tout point porteur constitue la salle de lecture et de consultation de 120 000 ouvrages en accès libres. La construction de ce plateau de 2 500 m2, totalement vide, a été rendue possible grâce à la mise au point d’un système constructif : deux gigantesques poutres métalliques épaisses de 4,5 mètres constituent le deuxième niveau, celui pour les enfants et les bureaux de l’administration. Cet élément repose sur des piliers d’acier situés aux quatre extrémités des bras de la croix. Entre le rez-de-chaussée, fait de béton et le deuxième niveau, le grand vide est clôturé par des baies vitrées de forme bombée et autoportantes, aucun système structurel ne bloque la vue. Dans les extrémités de la croix des espaces spécifiques à chaque pôle, et des mezzanines, offrent des lieux de lecture ou de recherche plus intimes.

Dans l’avenir, la liberté du plateau permettra toutes les reconfigurations possibles selon l’évolution des supports de connaissance. La réflexion de l’agence sur ce programme trouve ici à être réifiée dans une vision optimiste de la bibliothèque multimédia du futur et constitue sans doute un antidote efficace au désenchantement culturel ambiant.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°472 du 3 février 2017, avec le titre suivant : Une bibliothèque au croisement des savoirs

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