Babel

Traduire en images

Par Jean-Christophe Castelain · Le Journal des Arts

Le 31 janvier 2017 - 764 mots

Avec une exposition courageuse, le MuCEM tente de montrer et faire comprendre les multiples enjeux posés par la traduction. Malgré sa complexité, chacun y trouvera son compte.

MARSEILLE - Jean-François Chougnet, le patron du MuCEM, n’aime pas la facilité. En témoigne sa nouvelle exposition sur le thème de la traduction, qui trouverait mieux sa place à la Bibliothèque nationale de France que dans un lieu dont l’ADN est en partie constitué des arts et traditions populaires. Et pour compliquer davantage les choses, le projet est porté par une philosophe, Barbara Cassin, dont c’est la première exposition et  reconnaît elle-même : « c’est un défi, je suis quelqu’un du livre, pas de la monstration ». C’est bien là le problème.

Les enjeux posés par le thème de la traduction sont d’une telle subtilité que leur compréhension requiert – déjà – de l’attention quand ils sont lus dans un livre. Aussi, vouloir les expliquer à travers des objets ou œuvres d’art, même assortis de quelques panneaux est une gageure. Si un public averti et concentré en ressortira plus riche, car l’exposition est dense, les visiteurs moins attentifs passeront à côté de nombreux propos. Prenons par exemple la séquence sur les enjeux politiques des langues (le titre évoque déjà un titre de sujet de doctorat). Il y est notamment expliqué que les anciens grecs désignaient les étrangers par le mot « barbare » et que ce mot « serait forgé par une onomatopée pour désigner celui que l’on ne comprend pas », comme bla-bla-bla. Le barbare est illustré par un vase représentant un guerrier scythe. Mais comment traduire visuellement le concept d’onomatopée ? Le choix de la commissaire s’est porté sur un tableau contemporain de Mel Bochner avec l’inscription « Blah, blah, blah ». Une littéralité évidente quand on commence par lire soigneusement le panneau de salle, mais qui ne va pas de soi.

Paradoxalement, la médiation numérique, a priori plus pédagogique car conçue à cet effet, s’avère parfois plus complexe à manipuler. La commissaire et le scénographe ont ainsi voulu matérialiser la transmission dans les temps anciens des textes des grands auteurs grecs d’un pays à l’autre, et donc d’une langue à l’autre. Il est proposé au visiteur d’utiliser un grand écran interactif dont le « rendement didactique » s’avère plus faible, en raison de l’apprentissage de la tablette, qu’une simple carte géographique en papier reproduisant les routes empruntées par ces textes. D’ailleurs, à côté sont accrochés au mur des dizaines d’albums de Tintin dans toutes les langues, un dispositif bien plus immédiat pour illustrer l’universalité d’Hergé et la multiplicité des langues de la planète.

Comme un livre sans chapitre
Par nature complexe, la mise en scène pèche parfois aussi par quelques regrettables erreurs. L’exposition se divise en trois « moments », chacun constitué de trois parties. Un découpage qui n’est pas toujours très logique, ainsi de « l’atelier du traducteur », qui aurait tout aussi bien sa place dans la première séquence, mais ce n’est pas très gênant. Ce qu’il l’est plus, c’est l’absence de séparation marquée entre les parties, comme dans un livre où les chapitres s’enchaîneraient les uns à la suite des autres, sans changement de page et sans titre. Difficile dans ces conditions de bien se repérer dans les propos. Surtout, quand, les dispositifs n’ont pas pu se placer à côté du panneau explicatif. Des bévues de ce type, il y en a d’ailleurs beaucoup, ce qui ne manque pas d’agacer la commissaire, comme la vitrine trop petite pour loger une copie d’époque de l’ordonnance de Villers-Cotterêts.

Mais au fond, tout cela n’est pas si grave. Le public intéressé sera récompensé de ses efforts d’attention, par une masse d’information qui donne réellement à penser. Citons pêle-mêle les langues à prétentions universelles, les traductions de la parole divine et les équivoques lourds de conséquences (Eve est-elle née d’une côte d’Adam ou à côté d’Adam ?), ou encore les termes intraduisibles d’une langue à l’autre qui manifestent la richesse des cultures. Les « visiteurs-zappeurs » picoreront, eux, des idées ici ou là qui sont autant de germes pour des réflexions futures. Par exemple, une vidéo sur le langage des signes qui est un petit joyau d’intelligence, et en l’espèce adaptée à tous les publics. L’actrice Emmanuelle Laborit, exprime dans le langage des signes de différents pays des mots ou expressions (« culture », « homosexualité féminine »). Une manière très fine de faire comprendre le sens des mêmes mots dans différentes « langues », celles-ci compréhensibles de tous.

Traduire

Commissaire générale de l’exposition : Barbara Cassin, directrice de recherche au CNRS
Nombre d’œuvres : environ 200

« Après Babel, traduire »

Jusqu’au 20 mars, MuCEM, 1 esplanade du J4, 13002 Marseille, tlj sauf mardi, 11h-18h, entrée 14 €, www.mucem.org. Catalogue Acte Sud, Musser, 35 €.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°472 du 3 février 2017, avec le titre suivant : Traduire en images

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