Restitutions

Mission Mattéoli, un bilan 20 ans après

La mission Mattéoli en 1997 a relancé la politique publique à l’égard des biens spoliés aux juifs pendant la guerre, dont les œuvres d’art estampillées MNR. Le bilan est contrasté

Le groupe de travail mené par Jean Mattéoli est un moment clé dans la relance du processus de recherche des ayants droit des œuvres spoliées. Si l’attitude des musées fait débat, les procédures publiques se sont améliorées.

Le 3 février 1997, Alain Juppé confie à Jean Mattéoli, président du Conseil économique et social et ancienne figure de la Résistance, le soin de coordonner une mission d’étude sur la spoliation des juifs de France. Elle regroupe des historiens de renom (Claire Andrieu, Serge Klarsfled, Antoine Prost, Annette Wieviorka…), des archivistes et des scientifiques de tous bords qui travaillent durant trois ans, sous la tutelle des Premiers ministres Alain Juppé, puis Lionel Jospin. Le document final contient sept rapports thématiques (spoliation financière, pillage des appartements, etc.) dont un, rédigé par les conservateurs du patrimoine Didier Schulmann et Isabelle le Masne de Chermont, est dédié à la spoliation des œuvres d’art et plus particulièrement à la question des 2 143  MNR (« Musées nationaux récupération »,  lire l’encadré ci-dessous).

Ce rapport, initialement non prévu par la commission (les œuvres d’art sont un sujet jugé peu prioritaire), est publié alors que les restitutions viennent de reprendre après trois décennies de quasi-silence sur la question. Dans les années 1950, les musées exposaient régulièrement les MNR dans l’attente qu’un propriétaire d’origine ou un ayant droit les réclame, et 28 restitutions sont réalisées entre 1951 et 1966. Mais à l’exception d’une sculpture de Rodin rendue aux héritiers de Fritz Todt en 1979, ce n’est qu’en 1994 qu’une nouvelle restitution de MNR est effectuée. Soit une seule restitution en près de trente ans.

Une mission à point nommé
Les 78 restitutions intervenues entre 1994 et aujourd’hui montrent que la mission Mattéoli marque un moment particulier dans cette histoire complexe. On peut s’interroger sur les raisons qui ont conduit les pouvoirs publics à relancer le processus de restitution cinquante ans après la guerre. Il apparaît d’abord que le temps a fait son œuvre. Après le choc des camps de concentration et le deuil, la décence retarde logiquement les indemnisations matérielles. Ainsi, ce ne sont souvent que les petits-enfants, longtemps après, dans un souci de mémoire et de justice, qui éprouvent le besoin de rechercher des œuvres volées à leurs grands-parents. Les survivants de la Shoah ou les descendants directs de déportés, s’en sont souvent désintéressés, voulant occulter un passé douloureux. D’un point de vue politique, le discours de Jacques Chirac prononcé en juillet 1995 à l’occasion de la commémoration de la rafle du Vel d’Hiv, qui reconnaît la responsabilité de l’État français dans la déportation, constitue une rupture importante. Il est concomitant de l’ouverture des archives de Vichy.

Sur la question précise des œuvres d’art, des publications rencontrent au même moment un large écho. Côté universitaire, la thèse de Laurence Bertrand Dorléac en 1993, L’art de la défaite, pose un second jalon, après la somme de l’Américaine Lynn Nicholas, Le Pillage de l’Europe ; plus grand public, l’enquête réalisée par le journaliste Hector Féliciano et intitulée le Musée disparu (1995 pour la traduction française) fait grand bruit. Celui-ci reproche aux musées d’avoir abandonné leur travail de recherche de provenance sur des œuvres spoliées. Un rapport de la Cour des comptes datant également de 1995 apporte une forme de caution publique, en s’étonnant que ces mêmes musées n’aient plus pour objectif la restitution des œuvres confiées après la guerre.

La mission Mattéoli est le fruit de tout ce contexte, qui n’a depuis cessé d’évoluer. En 1998, la conférence de Washington rappelle à la communauté internationale les impératifs de recherche et de restitution des œuvres spoliées. En 1999, les musées nationaux français réalisent la première numérisation importante (le répertoire des notices des MNR), et les premières bases de données sont mises en ligne.

Une des premières conséquences de la mission Matteoli est la création de la Commission d’indemnisation des victimes de spoliation (CIVS), en 1999, à laquelle les familles peuvent désormais adresser des réclamations. Mais à côté des dossiers immobiliers et financiers, les œuvres d’art représentent une partie minime de son action. Au même moment, la famille Gentili di Giuseppe gagne devant la cour d’appel de Paris son procès face au Louvre, lequel est condamné à lui restituer cinq œuvres inscrites à l’inventaire MNR, dont une peinture de Tiepolo. Cette restitution, qui fait grand bruit à cause du Louvre qui s’y oppose, crée un précédent et contribue sans doute à expliquer les trente restitutions qui ont lieu jusqu’en 2004. Cette année-là, le catalogue complet des peintures MNR est enfin disponible sur papier (il reprend notamment le site « Rose Valland », créé en 1997 par le ministère de la Culture et de la Communication).

Il faut attendre 2008 pour qu’une grande exposition rassemblant des dizaines de MNR soit de nouveau organisée, d’abord au Musée d’art et d’histoire du judaïsme, puis à Jérusalem. Depuis, plusieurs musées (rarement parisiens ; ainsi d’Angers, Rennes, Bordeaux, Valence et Rouen en ce moment même) interrogent leurs collections dans des expositions sur le sujet.

L’impulsion des politiques
Après une période où il ne se passe pas grand-chose (deux restitutions en six ans), les événements s’accélèrent de nouveau à partir de 2011, sous l’impulsion de plusieurs femmes politiques : la sénatrice Corinne Bouchoux publie sa thèse d’histoire, Si les tableaux pouvaient parler, qu’un rapport de la Commission culture du Sénat emprunte largement pour proposer la création d’un groupe de travail sur les MNR au sein de la CIVS. Cette proposition est reprise par la ministre Aurélie Filippetti à l’occasion d’une restitution Rue de Valois, et le groupe de travail dédié naît en 2013. La députée Isabelle Attard participe à cet élan en critiquant l’immobilisme persistant de nombreux musées dans son rapport parlementaire de décembre 2014. Le groupe de travail de la CIVS est reconduit par Fleur Pellerin. En 2015 et 2016, aidée par l’importance médiatique de l’affaire Gurlitt en Allemagne, la recherche de provenance fait l’objet de plusieurs publications et conférences, notamment au Centre Pompidou. Au total depuis 2012, 21 restitutions ont eu lieu, portant le total à 107 depuis 1951, soit à peine 5 % des MNR. D’autres devraient intervenir dans les prochains mois.

Les MNR, histoire et définition

Sur les 60 000 biens culturels découverts en Allemagne à la Libération et identifiés comme provenant de France, 45 000 sont restitués dans l’immédiat après-guerre. Sur les 15 000 restants, allant du simple pastel anonyme au tableau de maître, plus de 12 000 sont vendus par l’administration des Domaines, et un peu plus de 2 000 présentant un intérêt particulier (chefs-d’œuvre, objets archéologiques intéressants au plan scientifique mais sans valeur, faux ou pastiches à ne pas remettre sur le marché, etc.) sont confiés aux Musées de France. Ce sont les fameux « Musées nationaux récupération » (MNR), définis par un décret de septembre 1949, qui n’appartiennent à personne en attendant de retrouver leurs propriétaires. Ils restent sous la tutelle théorique du ministère des Affaires étrangères. Les musées, qui en ont la garde temporaire – depuis 68 ans - doivent les exposer régulièrement et avec les précisions historiques de rigueur. Les MNR ne sont pas tous des œuvres spoliées : certains ont été acquis avant guerre légalement, mais la disparition des vendeurs, voire des acheteurs, et le caractère forcé de certaines ventes à partir des années 1930, empêchent souvent de statuer sur l’origine des œuvres. D’où l’importance du travail de recherche de provenance à la charge des musées les conservant.

Légende photo

Jean Mattéoli, président de la Commission chargée d'étudier la spoliation des juifs en France montre son rapport qu'il va remettre au Premier ministre Lionel Jospin, le 02 février 1999 à Paris. © Photo : Pierre Verdy/AFP.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°472 du 3 février 2017, avec le titre suivant : Mission Mattéoli, un bilan 20 ans après

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