Préhistoire - Tribune

La grotte d’Altamira

1902 marque l’invention de l’art pariétal

Par Isabelle Manca · Le Journal des Arts

Le 18 janvier 2017 - 773 mots

Le 10 décembre 2016, François Hollande inaugurait en grande pompe Lascaux 4 [lire le JdA no 470, 6 janvier 2017], le fac-similé de la célèbre grotte ornée. 

Ce baptême présidentiel et la très large couverture médiatique de l’événement ne laissent planer aucun doute : la consécration de l’art pariétal est aujourd’hui totale. Or il n’en a pas toujours été ainsi. La reconnaissance scientifique de cette discipline n’est advenue qu’en 1902 et au prix d’une âpre bataille idéologique. Loin de susciter l’admiration, les premières découvertes ont en effet suscité l’incrédulité générale. En 1879, alors que l’archéologue espagnol Don Marcelino Sanz de Sautuola fouille la grotte d’Altamira, il n’imagine pas la virulente controverse qui va s’ensuivre. Tout bascule quand sa fillette, Maria, lui signale des scènes peintes sur le plafond. Après avoir inspecté soigneusement la cavité, il remarque beaucoup d’autres dessins, lesquels présentent tous une iconographie similaire aux objets gravés à partir desquels les préhistoriens écrivent à l’époque les premiers chapitres de cette science encore balbutiante. Il comprend alors l’importance de sa trouvaille : il s’agit tout simplement des plus vieilles peintures de l’humanité !

Sautuola publie sa découverte et s’attire les foudres de la quasi-totalité de la communauté scientifique. À l’exception du professeur madrilène Juan Vilanova y Piera, qui est convaincu de leur ancienneté, tous les spécialistes crient à la fraude. À commencer par les Français Émile Cartailhac et Édouard Harlé, meneurs de cette fronde, qui estiment que les couleurs sont trop bien conservées pour dater de l’âge de pierre et que les techniques et le style sont trop sophistiqués pour l’homme des cavernes. Il est totalement impensable que celui-ci soit l’auteur de ces œuvres à la beauté saisissante.

Celui que l’on nomme l’« homme antédiluvien » est encore perçu comme une créature à mi-chemin entre le singe et le sauvage. Depuis la découverte d’objets en os et en bois gravé, il est admis que l’homme primitif a pu réaliser des motifs sur des pièces usuelles comme des haches ou des silex taillés. S’il peut être un ouvrier habile, il est en revanche inconcevable qu’il pense comme un artiste en recourant à des méthodes élaborées et en faisant preuve d’abstraction. Une telle vision contrecarre trop brutalement la conception alors dominante de l’évolution vue comme un processus linéaire.

Ces différents arguments ajoutés au caractère inédit d’Altamira jettent le discrédit sur son invention. Si rien de comparable n’a jamais été observé, c’est qu’il s’agit d’une imposture. Nombreux sont ceux à y voir ainsi l’intervention d’un faussaire, d’ailleurs ce ne serait pas une première. Dans la seconde partie du XIXe siècle, de nombreux escrocs ont profité de la mauvaise connaissance de la préhistoire pour écouler quantité de faux. À Altamira, ce climat de suspicion est accentué par la grande difficulté de dater, et donc d’authentifier, des images peintes à même la roche avec des pigments naturels connus depuis la nuit des temps.

Et la lumière fut
Il faudra attendre plusieurs années pour que la vérité triomphe, à la faveur du dévoilement de nouveaux sites. De manière presque miraculeuse les découvertes se succèdent. Au cours de la décennie 1890, trois nouvelles grottes ornées sont révélées dans le sud-ouest de la France : La Mouthe (Dordogne), Pair-Non-Pair (Gironde) et Marsoulas (Haute-Garonne). Altamira n’est donc plus un spécimen unique et la principale objection contre la reconnaissance de l’art pariétal prend du plomb dans l’aile. Chaque nouvelle découverte légitime les précédentes et progressivement le débat s’engage sur des bases plus sereines et rationnelles. Des arguments sérieux confirment la nature ancienne de ces représentations. Par exemple, à Pair-non-Pair certaines œuvres ne sont apparues qu’après avoir dégagé les couches archéologiques les recouvrant, ce qui prouve leur ancienneté. Lors des fouilles de La Mouthe, des ouvriers trouvent un objet identifié par le préhistorien Émile Rivière comme étant une lampe. Ce qui met un terme à l’épineuse question de l’éclairage artificiel, élément indispensable à la réalisation des peintures dont aucune trace n’avait jusque-là été découverte. Enfin le dévoilement de nouveaux sites dans l’Hexagone achève de convaincre jusqu’aux détracteurs les plus coriaces.

En 1902, l’art pariétal est officiellement reconnu. D’abord grâce à la publication du Mea culpa… de Cartailhac. Beau perdant, l’éminent spécialiste reconnaît publiquement s’être trompé. Peu après, le congrès de l’Association française pour l’avancement des sciences présente plusieurs communications prônant la thèse de l’art pariétal qui sont saluées quasi unanimement. Les congressistes effectuent ensuite une excursion à La Mouthe et Font-de-Gaume. Une sorte de pèlerinage visant à inciter les scientifiques à diffuser la bonne parole. Le consensus sera cependant bref. Après la polémique sur l’authenticité de cet art, s’engage un débat animé sur son interprétation ; une question toujours ouverte à ce jour !

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°471 du 20 janvier 2017, avec le titre suivant : 1902 marque l’invention de l’art pariétal

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