Art contemporain

Yan Pei-Ming, peintre

L’artiste franco-chinois Yan Pei-Ming, qui depuis son atelier de Dijon rayonne dans le monde, s’intéresse à l’humain

Par Éric Tariant · Le Journal des Arts

Le 4 janvier 2017 - 1548 mots

La mort est au cœur des toiles démesurées de Yan Pei-Ming, né en Chine et venu chercher en France un horizon artistique. Il avoue craindre davantage de ne plus vivre que de mourir.

« Ce qui m’intéresse, c’est la tragédie humaine », lance-t-il, calé dans un canapé, les jambes croisées, en tirant voluptueusement sur son cigare. L’homme a des faux airs de chef indien des plaines avec ses longs cheveux grisonnants. Un Indien portant de drôles de pantoufles zébrées et une chemise grise dont des pans retombent en tir bouchon sur son jean. Posé devant lui, sur la grande table basse rectangulaire de l’immense salon-salle à manger : 37 quai d’Orsay, un livre signé Laurent Fabius contant ses années 2012 à 2016 à la tête du ministère des Affaires étrangères. « Fabius ? C’est un ami. Il m’a déposé son bouquin avant-hier. Il y a des drames partout sur la planète. Le monde est chamboulé. J’ai envie de l’exprimer, de crier », glisse-t-il, cessant soudain de sourire.

Un autre ex-ministre et Premier ministre, Dominique de Villepin, figuré en « format XXL », le sourcil broussailleux et le regard las, est accroché, un peu plus loin, sur les cimaises de son gigantesque atelier d’Ivry-sur-Seine. Sous les poutrelles rouillées du vaste entrepôt, il jouxte un fringant Barack Obama esquissant un demi-sourire.

Un peu plus loin, un grand diptyque et sur la droite, des hommes portant le keffieh s’enfuient précipitamment en courbant l’échine sous un ciel plombé. Derrière eux, un lance-roquettes éclairé par les rougeoiements d’une explosion. À gauche, un garçon agenouillé tend les bras en l’air en implorant un ciel chargé de sinistres oiseaux métalliques.

De la propagande aux Beaux-Arts de Dijon
« Petit, je n’avais qu’une idée en tête, devenir peintre », glisse-t-il. Devenir peintre pour échapper au carcan familial. Yan Pei-Ming est le deuxième enfant d’un couple d’ouvriers chinois de la région de Shanghaï. Sa mère travaille dans un atelier de sous-traitance. Son père, employé de nuit dans le secteur de l’alimentation, passe ses journées à charger et décharger des cargaisons de nourriture. « Ce sont des gens très simples et honnêtes. Leur seul but était de nourrir leurs quatre enfants auxquels ils vouaient un grand amour », explique-t-il. Un mariage arrangé entre deux êtres mal assortis. « Ma mère n’aimait pas mon père. Elle n’arrêtait pas de l’insulter, le traitant d’être le plus bête, le plus stupide de la terre », poursuit-il en bégayant soudain d’une façon plus accentuée. Ce handicap apparu à la naissance le perturbant  socialement, l’adolescent Yan Pei-Ming cherche le terrain sur lequel il pourra s’exprimer et s’épanouir sans avoir à parler. Ce sera la peinture. « Le bégaiement a joué un rôle très important dans ma volonté de me battre, de résister. C’est sans doute pour cela que j’ai commencé à faire un travail sans concession », explique-t-il.

À Shanghaï, la maison familiale étant trop petite pour abriter ses travaux, il installe son propre atelier de peinture au sein de son collège. Au lycée, devenu délégué aux arts plastiques, il peint des sujets inspirés de bandes dessinées, fait du dessin d’observation et exécute quelques copies de tableaux. Une fois par semaine, il est mobilisé, pour travailler dans un atelier de propagande, où il exécute des portraits officiels géants de Mao. À la fin des années 1970, il échoue au concours d’entrée aux Arts appliqués. En 1979, mauvaise nouvelle : l’École des Beaux-arts de Shanghaï, qui ne recrute que 50 à 60 élèves chaque année – pour une métropole de douze millions d’individus – n’organise pas de concours. « Je sentais que je n’avais pas ma place en Chine. On ne m’y avait donné aucune chance. » Pour échapper à un destin chinois qu’il imagine morne, il se décide à émigrer. « Changer de lieu pour ne pas jouer le même petit rôle jusqu’à la fin de ma vie », susurre-t-il. Ce sera la France, où vit déjà un de ses oncles. Arrivé sur les bords de Seine, faute d’être retenu au concours d’entrée aux Beaux-arts de Paris, il rejoint Dijon où il intègre l’École des beaux-arts en 1980.

Des portraits très identifiés
Dans la capitale de la Bourgogne, son oncle le présente aux propriétaires d’un restaurant taïwanais, qui l’accueillent et lui offrent le gîte et le couvert, contre un coup de main en salle pendant les heures d’affluence. « J’ai souffert lors de ma première année aux Beaux-Arts. Ce n’était pas la même logique, pas la même esthétique », glisse-t-il. Mais le jeune homme trouve assez rapidement sa voie. Au printemps 1982, au cours d’un exercice de libre expression, il se relâche et son pinceau se libère. Il peint de grands portraits de Mao dans un tout autre registre que celui imposé par la propagande chinoise. Il le représente tantôt souriant, rayonnant, impérial. Tantôt empâté, dégoulinant, mourant. En noir et blanc ou en rouge. « Sous les assauts de cette peinture expressive et non expressionniste, le portrait de Mao subit tous les traitements : suintements, coulures, dégoulinures, fuites, effacements. Mais, si la figure du Grand Timonier est entamée, minée, corrodée par la peinture, Yan Pei-Ming ne s’en moque jamais », souligne Bernard Marcadé (Yan Pei-Ming. Histoires de peinture, peintures d’Histoire & autres faits divers. L’Herne, 2013).

Dans ces années 1980, où la peinture est vilipendée, traitée, en France, comme un médium dépassé, Yan Pei-Ming trace sa voie, à contre-courant, en solitaire. Avisé et rusé, il suit les conseils de son compatriote Sun Tzu, illustre auteur de L’Art de la guerre. « Observez la stratégie de l’ennemi, écrivait-il au VIe siècle avant Jésus-Christ. Lorsqu’il s’est engagé, changez ses forces en faiblesse et vos faiblesses en force. » Yan Pei-Ming, peintre inconnu et bègue, surfe alors sur le portrait du Grand Timonier, figure universelle, pour assurer sa propre propagande. Il s’appropriera par la suite le personnage de Bruce Lee et multipliera les portraits d’icônes de ce début de XXIe siècle comme Barack Obama, le pape François, Vladimir Poutine ou Pablo Picasso. Pourquoi se focaliser sur le portrait ? Parce que c’est aussi, à ses yeux, un sujet éternel, une sorte de miroir de notre société et une fenêtre sur notre époque. Il peint, avec énergie, à la manière d’un boxeur, des toiles constellées d’une multitude de coups de pinceaux aux subtils dégradés de noirs, de blancs et de gris.
D’immenses toiles dans lesquelles le spectateur peut pénétrer et qu’il attaque d’emblée, sans esquisse, ni travaux préparatoires. « Je me suis limité au noir et au blanc pour éviter de me confronter aux grands maîtres de la peinture et imposer un univers beaucoup plus personnel. En outre, les palettes de noir et de blanc coûtaient relativement moins cher », souligne-t-il, l’air taquin.

Il rencontre rapidement le succès avec ses grands portraits nerveux qui imposent sa marque. En 1988, il expose à l’Arc-Musée d’art moderne de la Ville de Paris, puis à l’École des beaux-arts de Sète. En 1991, Anne de Villepoix, suivie par les galeristes Rodolphe Janssen (1993), Liliane & Michel Durand-Dessert (1996) et Massimo de Carlo lui ouvrent les portes du marché de l’art européen. En 1995 puis en 2003, il expose à la Biennale de Venise. Dans les années 2000, sa cote internationale explose, dopée notamment par les achats en provenance de Chine devenue la deuxième puissance économique mondiale.

Incapacité à figurer le bonheur
« C’est le chouchou des salariés de la fondation. C’est un homme calme, généreux et joyeux qui est toujours d’humeur égale », observe Éric Mézil, le directeur de la Fondation Lambert en Avignon, qui l’exposera fin 2017 au palais des Papes. Ming ne dissimule pourtant pas sa face sombre, ses visions et songes lugubres. « Je fais parfois des cauchemars au cours desquels je me trouve dans la peau d’un condamné à mort. Une mort programmée, quelque chose d’atroce qui m’effraie », se confie-t-il. En 2007, il se figure dans un autoportrait pendant au bout d’une corde. En 2008, dans le salon Denon du Louvre, il organise les « Funérailles de Monna Lisa ». La Joconde occupe le panneau central flanqué de part et d’autre de deux fantômes. D’un côté, le père de Yan Pei-Ming figuré mort, les yeux ouverts, et à l’autre extrémité, la dépouille du peintre dans une morgue.

« Je ne parviens pas à traduire le bonheur. Lorsque je peins, c’est comme une exécution », insiste Yan Pei-Ming qui livrant une version sanguinolente du Tres de Mayo de Goya et s’est atttaqué à L’Exécution de Maximilien de Manet, se focalisant sur l’exécution, en gommant les spectateurs mexicains qui figuraient au second plan.

Exposé au printemps 2016 à la Villa Médicis, à l’occasion du 350e anniversaire de l’Académie de France à Rome, le « joyeux » ancien pensionnaire y montre Les funérailles du pape, La découverte du corps d’Aldo Moro et d’inquiétant paysages nocturnes, vidés de toute présence humaine. Ainsi qu’Aube noire, un grand panoramique figurant une barque perdue au milieu de flots déchaînés. Sur la partie droite du tableau : des cadavres flottent sur la mer immense et sombre.

YAN PEI-MING EN DATES

1960 Naissance à Shanghaï
1980 École des beaux-arts de Dijon
1993 Pensionnaire à la Villa Médicis, Académie de France à Rome
2016 « Yan Pei-Ming Roma », Villa Médicis, Académie de France à Rome
« Yan Pei-Ming. D’après photo » au Musée Nicéphore Nièpce

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°470 du 6 janvier 2017, avec le titre suivant : Yan Pei-Ming, peintre

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