Essais

Les métamorphoses de la Liberté

Par Élisabeth Santacreu · Le Journal des Arts

Le 4 janvier 2017 - 756 mots

Dans un recueil d’essais sur la Liberté prenant corps dans la peinture du XIXe siècle, Jorge Coli se montre brillant, mais perd parfois son sujet de vue.

Titulaire de la chaire d’histoire de l’art et de la culture à l’université de São Paulo, Jorge Coli, de formation philosophique, est spécialiste de l’art des XIXe et XXe siècles, ainsi que de l’histoire du cinéma et de l’opéra. Il a fait ses études en France et y a enseigné, ce qui explique sa grande connaissance de l’art français et l’intérêt qu’il lui porte – il a notamment écrit sur Courbet. Les essais sur la peinture du XIXe siècle titrés Le Corps de la Liberté sont un ensemble de textes de conférences, d’articles de journaux et de chapitres de livres dont le corps est le sujet, parus au long de sa carrière et revus pour cette édition.

En réalité, le tout porte le titre de l’une des parties, la plus longue : le chapitre V, consacré au tableau de Delacroix Le 28 juillet : la Liberté guidant le peuple (28 juillet 1830). Après avoir posé le cadre historique – les Trois Glorieuses menant à la Monarchie de juillet – et présenté le peintre déjà célèbre de 33 ans, Jorge Coli évoque le « destin singulier » de l’œuvre. Acquise par l’État pour être exposée au Luxembourg, puis restituée à Delacroix, la toile fut ressortie en 1848, cachée de nouveau, présentée à l’Exposition universelle de 1855, de nouveau mise à l’écart avant de revenir enfin au Luxembourg à la mort du peintre, en 1863. « Ainsi, précise Jorge Coli, pour des raisons politiquement symboliques, le tableau mit plus de quarante ans pour être véritablement assimilé par la culture française officielle. »
L’auteur glisse alors à une autre idée : « Le tableau de Delacroix […] est une solution splendide, mais unique dans le cadre de la crise de l’allégorie. » S’ensuit un long développement sur la figure de la Liberté dans l’art de la fin du XVIIIe siècle et du début XIXe qui, à un moment, s’assimile à la figure de la République. D’où la gêne de Louis-Philippe… Par ailleurs, explique-t-il, il y a deux sortes d’allégories de la Liberté : la Liberté triomphante ou la Liberté en lutte. C’est à cette dernière catégorie qu’appartient celle de Delacroix. Fortement sexuée, reprend l’auteur, elle met le peuple en rut et permet d’insérer ce tableau « dans la lignée des belles dames sans merci », dont fait également partie la très symboliste Elle (1905), une toile de Gustav Adolf Mossa…

Des digressions difficiles à suivre
« Après cette prospection relative à la représentation de la Liberté, nous pouvons procéder à un travail semblable sur le second élément du tableau, c’est-à-dire l’image du “peuple” », annonce Jorge Coli. C’est maintenant le lecteur qui demande grâce, lui qui est déjà passé par le Massacre de la rue Transnonain de Daumier, l’Iconologie de Gravelot et Cochin, la Chasse patriotique à la grosse bête (une estampe de la période révolutionnaire), l’en-tête du papier du Caissier de vivres à l’armée de Sambre et Meuse, La Vérité amène la République et l’Abondance de Nicolas de Courteille, Liberté ou la Mort de Regnault, et bien d’autres œuvres, sans compter les références bibliographiques. Perdu, il ne sait plus comment on en arrive aux poils sous les aisselles de la  Liberté de Delacroix, à la nudité de Mercure dans L’Instruction de la Reine de Rubens ni aux objets familiers de Napoléon dans son cabinet de travail de David. À la fin, la conclusion n’en est pas une : c’est la citation de Delacroix parlant de « l’introduction de la réalité au milieu d’un songe ». Pauvre lecteur : le voilà essoufflé et frustré par sa course à la suite de Jorge Coli, entraîné dans son analyse passionnante et érudite, mais dont le moindre élément a fait l’objet de digressions nuisant à la concentration.

Qu’il soit consacré au classicisme, à Courbet, Manet ou à la modernité, chaque chapitre de ce livre provoque le même étourdissement, sans compter que la composition de l’ouvrage est aussi une énigme, l’ouverture étant consacrée aux personnages des romans policiers, de Conan Doyle à Patricia Cornwell… Sans doute à cause de sa genèse (un assemblage de textes d’origines diverses), mais aussi du fait de la personnalité brillante et passionnée de l’auteur, ce recueil pourra sembler brouillon. Mais il en est de Jorge Coli comme de beaucoup de bons professeurs : c’est lorsqu’on les a quittés que l’on mesure à quel point ils nous ont ouvert de nouveaux champs de réflexion.

Jorge Coli, Le corps de la liberté, essais sur la peinture du XIXe siècle

Ed. Ellug/MSH-alpes, 276 p., 32 €.

Légende Photo :
Couverture du livre de Jorge Coli, Le corps de la liberté, essais sur la peinture du XIXe siècle

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°470 du 6 janvier 2017, avec le titre suivant : Les métamorphoses de la Liberté

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