Justice

Faux : nouvelle mise en examen chez les antiquaires

L'antiquaire Jean Lupu poursuivi pour contrefaçon

Par Vincent Noce · Le Journal des Arts

Le 6 décembre 2016 - 860 mots

Après les protagonistes de l’affaire des « sièges de Versailles », c’est au tour de Jean Lupu d’être poursuivi pour contrefaçon. Le nombre de meubles mis en cause pourrait atteindre la centaine

PARIS - Le marché du mobilier XVIIIe voit avec effarement s’accumuler les enquêtes pour contrefaçon, conduites par l’Office central de lutte contre le trafic des biens culturels. Après l’ébéniste Bruno Desnoues et l’expert Bill Pallot, qui ont passé quatre mois en détention après avoir avoué la fabrication d’une demi-douzaine de lots de sièges proposés au château de Versailles, c’est au tour de  Jean Lupu d’être désormais mis en examen pour escroquerie, dans une instruction parallèle suivie à Paris.
Signe du trouble de la profession, ces affaires sont à la source de la révolution de palais que vient de connaître le Syndicat national des antiquaires.

Des « pratiques courantes »
Antiquaire à la retraite âgé de 86 ans, Jean Lupu avait déjà été interrogé et fait l’objet de perquisitions depuis l’année dernière, sans avoir été inculpé jusqu’alors. Les enquêteurs n’ont pas été inactifs pour autant puisqu’ils ont exploité la comptabilité saisie pour retrouver ses clients. Plusieurs meubles ont notamment été achetés pour des millions d’euros par le collectionneur suisse Jean Claude Gandur et Teodorin Obiang (le fils du dictateur guinéen), qui doit bientôt répondre de l’accusation de détournements. L’affaire paraît d’une ampleur sans précédent, puisqu’elle pourrait porter selon certaines victimes sur une centaine de cas, recensés sur plusieurs décennies.

Jean Lupu n’a pas souhaité nous répondre. Il aurait néanmoins proclamé son innocence en estimant que, disposant de son propre atelier de restauration, il ne faisait que suivre les pratiques courantes de son métier. Il reviendra donc à la justice de déterminer s’il y aurait eu simple restauration, ou même reconstitution d’un décor perdu, ou tromperie, visant à faire passer du mobilier de style comme datant de la grande époque de Louis XV.

Le Journal des Arts a pu retracer l’historique de certains meubles. Un des cas les plus flagrants est une table de trictrac de Martin Carlin vendue autour de 800 000 euros, décorée de « 26 plaques en laque du Japon datant des débuts du XVIIIe siècle », représentant des montagnes, des pagodes et des oiseaux, qu’un certificat signé de Jean Lupu date « vers 1775 ». L’origine pourrait en être retrouvée dans une table de jeux beaucoup plus simple, en bois de rose, acquise pour 46 600 euros chez Christie’s Paris le 17 novembre 2011. Elle n’arborait alors aucune plaque de laque.

Les interrogations portent aussi sur un bureau plat en laque de Chine sur fond rouge, estampillé « Jacques Dubois », proposé pour 2 millions d’euros. Comme d’autres pièces, il a été accompagné du certificat d’un expert parisien, Guy Kalfon en l’occurence. Lorsqu’il avait été mis en vente à Drouot le 6 avril 1990, il n’était fait nulle mention d’une estampille de l’ébéniste de Louis XV. Ce meuble était alors décrit comme « de style Louis XV, exécuté à la fin du XIXe siècle », et estimé 125 000 francs – l’équivalent de 30 000 euros d’aujourd’hui. Acheté à Drouot le 27 mai 1988, un bureau plat de Latz en bois de rose et amarante s’est retrouvé en 2012 enrichi d’un lutrin et de tiroirs garnis de laque avant d’être livré aux enchères à l’hôtel Bristol par Marc-Arthur Kohn (la marqueterie des pieds permet de l’identifier).

Un autre exemple est un secrétaire en bois de rose décoré de fleurs de Léonard Boudin, petit maître et marchand du règne de Louis XV. Il avait été mis en vente à Drouot le 2 avril 1993, sur une estimation de 50 000 euros. Le même apparemment a refait surface aux enchères chez Claude Aguttes à Neuilly le 7 décembre 2004, surchargé de bronzes dorés qui n’apparaissaient pas deux décennies plus tôt. On pourrait encore citer une commode aux formes galbées estampillée « Joseph », ornée de laque noire, au dessus en marbre noir, adjugée 1 350 000 euros par la maison Giafferi en 2009. Elle ressemble fort à celle exposée dans la galerie Lupu quelques années plus tôt, avec un dessus de marbre rouge et sans le plaquage de laque, laquelle fut proposée aux enchères et retoquée à New York en 2001.

« Dans les règles de l’art »
La culbute peut être impressionnante, si l’on se réfère à une « armoire par André Charles Boulle et son atelier », selon la curieuse expression du catalogue, proposée pour 2 millions d’euros au Bristol en 2014 par Kohn, qui a dispersé une partie du stock de la galerie au moment de sa fermeture. Le catalogue prenait soin de préciser que les bronzes dorés avaient été « restitués dans les règles de l’art ». Avec beaucoup d’éloquence, il assurait que ce meuble provenait « fort probablement de l’appartement parisien de Richard Wallace » en soulignant sa parenté avec une armoire ayant appartenu à cet éminent amateur de l’époque victorienne. Selon le commissaire-priseur, qui a prêté assistance à l’enquête, « Jean Lupu avait acheté cette armoire chez Sotheby’s Paris », le 9 novembre 2012. Alors présentée comme d’époque Restauration, ayant perdu ses bronzes d’origine et « incluant des marqueteries probablement originaires de l’atelier de Boulle », elle avait atteint le prix de 44 000 euros. Il apparaît troublant de retrouver dans son nouveau décor en bronze une incohérence visible sur une armoire censée provenir de Richard Wallace, sur laquelle les bronzes ont été reconstitués depuis son acquisition par la collection du prince de Liechtenstein.

Légende photo

Reflets sur la vitrine de l'antiquaire Jean Lupu © Photo Britchi Mirela - 2010 - Licence CC BY-SA 3.0

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°469 du 9 décembre 2016, avec le titre suivant : L'antiquaire Jean Lupu poursuivi pour contrefaçon

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