Maroc - Architecture

COP 22 Marrakech

Architecture de terre contre architecture de fer

Par Geneviève Gallot · Le Journal des Arts

Le 6 décembre 2016 - 810 mots

L’École nationale d’architecture de Marrakech s’engage dans la lutte contre le changement climatique en redonnant leur place aux savoir-faire traditionnels.

MARRAKECH - Depuis 2009, le développement durable est au cœur des priorités du Maroc. Ce pays d’accueil de la COP 22 (qui s’est tenue du 7 au 18 novembre) réoriente ses investissements vers des secteurs sobres en carbone, légifère en matière d’efficacité énergétique, encourage le recyclage et fonde un nouveau modèle de développement sociétal. Confronté à une demande énergétique croissante, le royaume chérifien fait le pari de l’énergie propre. À son actif, près de Ouarzazate, l’immense centrale thermodynamique Noor et l’éco-cité Zenata près de Casablanca, ville nouvelle bioclimatique en cours de réalisation.
Alors que le bâtiment est responsable de 49 % de la consommation mondiale d’énergie (Pike Research), les modes de construction doivent évoluer avec l’architecte en rôle central. Or, aujourd’hui, le Maroc compte peu d’architectes, environ 3 500 pour 33 millions d’habitants, et les écoles d’architecture (Rabat, Casablanca, Fès, Tétouan) n’offrent pas de formation spécialisée en matière de développement durable. Sauf, depuis peu, l’École nationale d’architecture de Marrakech. Son directeur, Abdelghani Tayyibi, architecte et urbaniste, diplômé à Rabat, titulaire du diplôme de spécialisation et d’approfondissement « Architecture de terre » de l’école d’architecture de Grenoble et du diplôme d’études supérieures spécialisées « Villes, architecture et patrimoine : Maghreb et Proche-Orient » de l’école d’architecture de Paris-Belleville, docteur en sciences des matériaux de l’université de Kénitra, présente ses projets.

D’abord annexe de l’École nationale d’architecture de Rabat, première école d’architecture créée au Maroc en 1980, l’École nationale d’architecture de Marrakech est devenue autonome en 2015. Quelle est son ambition ?
Abdelghani Tayyibi : Faire émerger une nouvelle génération d’architectes écoresponsables. C’est indispensable dans notre pays où les conséquences du changement climatique sont alarmantes, en particulier la diminution des ressources en eau. Nous voulons proposer de nouveaux modèles de construction et d’urbanisme, soutenables, durables, respectueux de l’environnement et de l’Homme. L’École est encore naissante mais cette orientation, définie il y a trois ans, a été réaffirmée lors de la COP 22 par le ministre de l’Urbanisme et de l’Aménagement du territoire qui a annoncé la mise à disposition d’un nouveau bâtiment. Aujourd’hui, les études d’architecture au Maroc s’inscrivent dans le cycle LMD (Licence-Master-Doctorat) et le diplôme d’architecte s’obtient au terme d’une sixième année post-master.
De nouvelles voies professionnelles pour les métiers connexes à l’architecture et des projets de recherche pourront aussi se développer. Mais l’enjeu essentiel est de donner à notre école sa couleur verte.

Quels projets concrets allez-vous lancer ?
Abdelghani Tayyibi : Dans l’immédiat, notre pédagogie doit être refondée avec au moins quatre exigences : ancrer nos enseignements dans la culture et l’histoire de l’architecture marocaines ; développer des cours sur l’efficacité énergétique, les énergies renouvelables, les matériaux naturels ; faire une place plus large à l’expérimentation ; enfin, travailler en réseau grâce à des partenariats nationaux et internationaux avec des universités, des entreprises ou des associations.
Des collaborations, déjà établies, vont s’élargir avec Al Muniya et Rempart, associations au service de la sauvegarde du patrimoine, avec la société allemande Ipro Consult spécialisée dans l’écoconception, avec l’Université polytechnique de Madrid et l’université des sciences appliquées de Stuttgart, avec la chaire Unesco CRATerre de l’école d’architecture de Grenoble spécialisée en terre crue, qui aura bientôt un bureau à l’école, et l’Atelier Matières à construire.

Quels liens envisagez-vous avec les techniques constructives locales ?
Abdelghani Tayyibi : Le Maroc a été pionnier dans la construction en terre crue et des bâtiments exceptionnels en témoignent : le Ksar d’Aït-Ben-Haddou, la cité historique de Meknès, la médina de Fès… Certains procédés de construction traditionnelle étaient très efficaces comme les techniques parasismiques vernaculaires, économiques, écologiques, sans ciment.
Sous le Protectorat français, on a voulu construire à grande échelle, vite et propre. Les savoir-faire ancestraux de construction en terre crue des kasbahs et des ksour ont alors été écrasés sous le ciment, l’acier et le verre des bâtiments modernes. Ensuite, la mondialisation a imposé les normes d’une architecture internationale et relégué la terre crue à une image de pauvreté et de fragilité. Mais un regain d’intérêt s’exprime depuis quelques années au Maroc et dans le monde pour les matériaux naturels. Nous devons saisir cette chance.

Comment développer le goût et la confiance dans la terre crue ?
Abdelghani Tayyibi : Environ 30 % de la population mondiale vit aujourd’hui dans un habitat construit en pisé, adobe, bauge, torchis ou briques en terre compressée, mais la tendance est en baisse en raison de l’urbanisation. Pour développer la confiance dans la terre crue, il faut être capable de préserver l’habitat et d’informer sur ce matériau à la fois ancien et innovant : recyclable, sans déchet, sans émission de CO2 et qui permet aux populations locales de participer à l’aménagement de leur cadre de vie.
Il faut aussi construire de beaux édifices et faire connaître les magnifiques réalisations contemporaines qui existent à travers le monde comme celles distinguées par le prix Terra Award. Bref, il faut continuer à se battre !

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°469 du 9 décembre 2016, avec le titre suivant : Architecture de terre contre architecture de fer

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