Redécouverte

La deuxième chance d’Ilse D’Hollander

Le Journal des Arts

Le 22 novembre 2016 - 812 mots

Si la peintre belge fait l’objet d’une reconnaissance tardive au Frac Auvergne, c’est grâce à l’opiniâtreté du galeriste Ric Urmel désireux de faire sortir de l’oubli cette œuvre sensible et délicate.

Clermont-Ferrand - Le Fonds régional d’art contemporain (Frac) Auvergne consacre une exposition à Ilse D’Hollander, une peintre belge qui mit fin à ses jours en 1997 à l’âge de 29 ans. Cette exposition aurait pu ne jamais avoir lieu et cette parfaite inconnue le rester sans une suite de coïncidences, et la volonté d’un homme : Ric Urmel.

C’est par hasard, alors qu’il rend visite à un ami au fin fond de la campagne flamande, que Ric Urmel découvre en 1993 l’existence d’Ilse D’Hollander, dont quelques peintures sont accrochées aux murs. Ric Urmel, qui tient une galerie d’art à Gand, fait connaissance avec la jeune femme, profondément dépressive. En 1994, il la persuade, malgré ses doutes, de participer à une exposition collective, aux côtés de Berlinde de Bruyckere, Leo Copers, Pedro Cabrita Reis… « J’avais confié six pans de murs à Ilse, se souvient-il. Elle avait sélectionné cinq de ses tableaux, pour finalement décider de n’en montrer que trois. J’aurais pu les vendre dix fois lors de cette exposition tant sa peinture plaisait. » Ce début de carrière tourne court avec la disparition de l’artiste. Mais Ric Urmel ne laisse pas tomber. Il va consacrer trois ans, beaucoup d’énergie et pas mal d’argent pour obtenir par avocats interposés la propriété de l’œuvre. Ilse D’Hollander a laissé derrière elle « environ 400 peintures sur toile et quelque 1 700 peintures sur papier », précise le catalogue édité par le Frac Auvergne, qui relève la « charge émotive, poétique et romantique » d’une peinture compulsive, riche en « trouvailles formelles ».

Dans les bonnes grâces de Ric Urmel

Des années durant, ces toiles restent entreposées, et si certaines sont à une ou deux reprises exposées, elles ne franchissent pas les frontières belges. Tenace, l’ayant droit parvient cependant à éveiller l’intérêt de la galerie allemande Konrad Fischer ; après une exposition collective à Dusseldorf, un solo show est monté en 2013 à Berlin, la même année que le M. Museum de Louvain.
Entre-temps Ric Urmel a abandonné ses activités de galeriste, mais il conserve un bon réseau. Une de ses relations, Anna Schouwink, a intégré l’équipe de David Zwirner. C’est grâce à elle qu’Ilse D’Hollander figure, l’été 2014, à l’affiche de l’exposition « Paintings on Paper ». « David Zwirner, qui représente trois peintres flamands importants, dont Raoul De Keyser, m’a proposé de prendre Ilse D’Hollander. J’ai refusé », explique Ric Urmel, inquiet que sa protégée puisse pâtir de l’ombre de son aîné et assez fier d’avoir dit non à Zwirner. La notoriété de ce dernier bénéficie tout de même à Ilse D’Hollander. Des amateurs de peinture se montrent intéressés, comme le galeriste américain David Nash, qui fait le déplacement jusqu’à Gand. « Immédiatement séduit », ce connaisseur acquiert un tableau et deux gouaches sur papier. Comme lui, d’autres collectionneurs sont sensibles au caractère miraculeux d’une œuvre qui aurait pu sombrer dans l’oubli. Collectionneuse et mécène, Belinda de Gaudemar se souvient de son émotion, sur la Frieze Art Fair de Londres, lorsqu’elle apprit que la peinture concise « comme un haïku » qui l’attirait était le fait d’une artiste aussi prolifique que rigoureusement ignorée du marché. « Je ne me lasse pas de ce petit tableau délicat, mais prodigieusement complexe », confie-t-elle.

Un trésor sorti de l’oubli

Des réactions encourageantes pour Ric Urmel, qui poursuit son travail de promotion et contacte le galeriste Sean Kelly par le biais de Janine Cirincione, une autre de ses connaissances. Rendez-vous est pris sur le stand de Konrad Fischer à Art Basel. Là, c’est le coup de foudre, selon Janine Cirincione : « C’est fantastique lorsque des gens comme nous, dans le métier depuis très longtemps, découvrent une œuvre mature, totalement inconnue (…) un trésor. » Pour sa prochaine participation, en mars 2017, à la ADAA (Art Dealers Association of America), une foire intimiste propice aux solos shows, la galerie a prévu de dédier son stand à D’Hollander. « Les prix des dessins sur papier commencent à 10 000 $, ceux des petites peintures à 25 000 $ ».

L’exposition du Fonds régional d’art contemporain (Frac) Auvergne, la première dans une institution hexagonale, va-t-elle contribuer à la reconnaissance tardive de la peintre belge ? « C’est important pour sa crédibilité », estime Janine Cirincione. Ric Urmel, lui, a « sauté de joie » quand Jean-Charles Vergne, le directeur du Frac, l’a contacté pour bâtir un projet d’exposition ; « il nous a laissé carte blanche pour le choix des œuvres ». On peut se demander ce qui se serait passé si Ilse D’Hollander avait vécu plus longtemps. Mais aussi s’interroger sur ce qui serait advenu de ses peintures si son chemin n’avait pas croisé, un jour, celui de Ric Urmel.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°468 du 25 novembre 2016, avec le titre suivant : La deuxième chance d’Ilse D’Hollander

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