Architecture

Apprendre à concilier mobilité et ville durable

Par Geneviève Gallot · Le Journal des Arts

Le 22 novembre 2016 - 886 mots

L’Ensa de Strasbourg a créé une chaire franco-chinoise sur la mobilité durable et innovante dans les métropoles d’Europe et d’Asie, nouvelle étape dans sa collaboration avec l’université de Tongji à Shanghaï.

Strasbourg/Shanghaï - D’un côté, un archipel, de l’autre, une mosaïque. Strasbourg, au cœur de l’Europe, forme avec Bâle, Karlsruhe et diverses villes de taille moyenne, une configuration métropolitaine polycentrique, originale, qui compte 9 millions d’habitants. Shanghaï, ville la plus peuplée de Chine, 24 millions d’habitants, offre un territoire d’une immense complexité où s’enchevêtrent ruelles traditionnelles (« lilong »), quartiers en pleine transformation, tours géantes, autoroutes urbaines et gares. Dès 2011, la confrontation des cultures des deux  pays s’engage à travers des échanges entre l’École nationale supérieure d’architecture de Strasbourg (Ensas) et le prestigieux Collège d’architecture et de planification urbaine (CAUP) de l’université de Tongji à Shanghaï. Puis, le double master franco-chinois « Architecture and urban planning and design » se met en place avec huit étudiants par an, conduisant à la fois au diplôme d’État d’architecte et au Master degree of Architecture-Master degree of Engineering de l’université de Tongji. « C’est vraiment l’idée d’hétérotopie qui nous a guidés, le désir de placer les étudiants en situation extrême, de susciter des mises en miroir fortes », souligne Cristiana Mazzoni, professeur HDR (habilité à diriger des recherches) à l’Ensas, codirectrice du double master. En 2015, l’Ensas franchit une nouvelle étape en créant avec le CAUP de l’université de Tongji et Systra, groupe international dans les systèmes de transports publics, la chaire franco-chinoise d’enseignement et de recherche « Mobilités métropolitaines innovantes » sur la mobilité durable et innovante dans les métropoles d’Europe et d’Asie. Au total, depuis cinq ans, une trentaine d’étudiants français et chinois ont fait l’expérience de l’autre continent et chacun en est revenu avec des enseignements.

La leçon du choc des cultures

Venu à Shanghaï en 2012 pour un atelier, Aubin Gastineau, architecte, 25 ans, le dit sans détour : « J’ai d’abord détesté Shanghaï ! Son échelle immense, la foule dans le métro, les passerelles innombrables, les restaurants gigantesques en sous-sol… Puis, j’ai senti sa poésie, ses lumières, les beaux contrastes. » Cet atelier lui permet de réfléchir aux trois dimensions de Shanghaï – hauteur, longueur et profondeur – et de proposer la création d’un « canyon urbain », vaste vallée artificielle, en vue du remodelage du site de l’Exposition universelle laissé à l’abandon après 2010. Aujourd’hui, l’architecte travaille à Shanghaï au sein de l’Agence américaine Gensler et collabore au double master. Il en est convaincu : « Il faut être prêt à s’ouvrir, à se faire surprendre et à apprendre ! »

Encadrée par une équipe pédagogique commune, la première année du double master se déroule en Chine pour les étudiants français autour de cours, d’ateliers et de stages, la deuxième année, en France, avec un double mémoire et projet de fin d’études, en français et en anglais. Lang Fan, 38 ans, architecte d’abord diplômée en Chine, venue en France pour les arts et l’architecture qu’elle admirait, y apprend la langue, puis obtient son diplôme français d’architecte. « À Strasbourg, c’est magnifique, on lit l’architecture depuis l’époque médiévale jusqu’à aujourd’hui. Une telle continuité est peu présente en Chine. » Retournée à Shanghaï, elle crée son agence d’architecture et d’urbanisme tout en contribuant au double master en organisant, par exemple, un atelier sur le réaménagement du Bund [boulevard emblématique de la ville, qui longe les berges du fleuve, ndlr] à l’horizon 2040. Forte de sa double appartenance culturelle, elle pointe les différences dans l’exercice du métier d’architecte, même si celles-ci semblent s’estomper : « En France, on réfléchit à partir de l’échelle humaine. On va de l’intérieur vers l’extérieur. En Chine, on compose les volumes, on définit l’enveloppe, puis on va vers l’intérieur de la structure. » Les architectes chinois ont des activités spécialisées et ne travaillent pas sur un projet depuis sa conception jusqu’à sa réalisation comme Lang Fan a pu le faire pour le pavillon d’Alsace de l’Exposition universelle de Shanghaï. Ce projet, innovant, inspiré par la peau humaine, fonctionnait « comme une éco-climatisation ; quand il faisait froid, les cellules se fermaient et quand il faisait chaud, elles s’ouvraient ».

Pour sa part, Lionel Debus, 26 ans, architecte diplômé du double master en 2013, est resté en France, mais sa passion pour la Chine est toujours vive. Après un mémoire sur l’évolution des formes urbaines à Shanghaï, son projet de fin d’études (voir illustration) propose une gare expérimentale pour Shanghaï en s’appuyant sur une analyse comparée des gares françaises et chinoises. Son objectif est de « donner un caractère plus urbain et plus humain à l’expérience de la gare, d’en finir avec la gare non-lieu, de créer un espace hyper connecté, où l’on passe du temps ». Aujourd’hui, doctorant, Lionel Debus poursuit ses réflexions à l’Eurométropole de Strasbourg autour de l’articulation de la grande vitesse et de la mobilité lente (parcours à pied, vélos, cours d’eau…) en recherchant toujours des solutions optimales, tant sur le plan spatial que social. Qu’en est-il du futur ? Jian Zhuo, professeur à l’université de Tongji, codirecteur du double master, affiche un bel optimisme : « En profitant des interactions de nos deux grandes cultures, les jeunes architectes du réseau franco-chinois contribueront à concevoir un cadre de vie bien meilleur pour l’homme. » Rendez-vous… en 2040 !

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°468 du 25 novembre 2016, avec le titre suivant : Apprendre à concilier mobilité et ville durable

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