Art contemporain

Post-communisme

L’Albanie d’aujourd’hui

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 22 novembre 2016 - 707 mots

MARSEILLE

Le MuCEM explore une Albanie contemporaine, où se révèle une société encore marquée par la dictature et en pleine définition de son identité.

MARSEILLE - Les scènes artistiques qui se développent dans les pays de l’ancien bloc communiste sont toujours pour beaucoup, plus d’un quart de siècle après la chute du mur de Berlin, marquées par ce passé qui infuse encore intensément dans les pratiques contemporaines. À Marseille, l’exposition consacrée par le MuCEM à l’Albanie en atteste de nouveau, dans un accrochage d’autant plus bienvenu qu’il éclaire un pays qui n’offre encore que très peu de visibilité sur son terreau culturel.
S’il est un reproche à adresser à cette exposition, dont le titre « Albanie, 1 207 km est » renvoie à la distance séparant Marseille de Tirana, la capitale du pays, c’est d’être bien trop courte.

Installée dans le bâtiment Georges Henri Rivière, seule une salle aux dimensions modestes lui est dévolue, à côté de laquelle une autre accueille le célèbre film d’Anri Sala Dammi i Colori (2013), qui a largement contribué à donner une réalité visuelle à la ville. L’artiste s’y promène en voiture en compagnie d’Edi Rama, actuel Premier ministre du pays et alors maire de la cité qui, sans doute parce qu’il est aussi peintre et entretient une certaine utopie relative au pouvoir de l’art, avait lancé un vaste programme de coloration des façades. Une initiative dont Anri Sala, ainsi qu’il en fait part dans un entretien publié dans le catalogue de l’exposition, juge néanmoins les effets concrets : « Edi Rama savait que pour ressusciter, chez une population légitimement lasse, la vision du commun, il fallait réveiller l’espoir sans imposer une idéologie. […] [Les couleurs] incarnaient un outil politique qui voulait arracher la ville des limbes où elle se trouvait et faire décamper le scepticisme concernant l’avenir. »

Un pays qui cherche ses marques
Cette question d’un point d’équilibre entre le passé et le futur – ou le présent – se trouve être au cœur du travail d’Endri Dani, l’un des artistes les plus pertinents vus ici, qui aborde avec finesse de nombreuses problématiques relatives à l’identité albanaise et à l’héritage culturel, entre mémoire et reconstruction, entre adjonction et soustraction. La première se matérialise sur une bétonnière recouverte de motifs décoratifs traditionnels (Palimpsest 01, 2010). La deuxième lorsque l’artiste abrase la surface de statuettes folkloriques en céramique jusqu’à leur retirer leur couleur et leurs traits (Souvenir of my homeLAND, 2011), ou quand il trempe une couverture dans des bains chimiques afin de lui ôter sa coloration et que les liquides sont conservés dans des bocaux à proximité (Palimpsest 05, 2013).

Le basculement du monde communiste vers un inconnu, qui dans les sociétés concernées suscite souvent une période de doute, se manifeste dans des travaux picturaux qui se réfèrent à l’esthétique du réalisme social pour mieux s’en affranchir, comme chez Lenoard Qylafi ou Enkelejd Zonja, qui lui revient en outre sur l’iconographie de l’incrédulité de saint Thomas (In your Vein, 2011). De son côté, la figure d’Enver Hoxha est, dans une série intitulée Exterminator (2012), retravaillée sur des photos d’archives recouvertes d’un papier transparent rehaussé de peinture, qui masque la figure du dictateur tout en lui donnant un aspect indéfinissable, plus monstrueux et menaçant encore.

Mais l’une des œuvres les plus captivantes de l’exposition reste le beau film d’Ermela Teli, intitulé Architecture de la tristesse (Trilogie) (2012). Avec des images d’une formidable densité tournées en noir et blanc dans des décors naturels, il aborde en trois chapitres la notion de sacrifice qui traverserait la société albanaise depuis un récit mythique jusqu’au début de la période postcommuniste, en s’intéressant à l’architecture et au paysage. Parvenu à son terme le film pointe en creux la question essentielle de la reconstruction, géographique autant qu’identitaire. Une problématique toujours à l’œuvre manifestement, comme semble s’en faire l’écho la fillette d’Adrian Paci (âgée de 4 ou 5 ans peut-être) dans une vidéo (A Real Game, 1999) où elle est interrogée par son père. Évoquant l’Italie où elle vit alors depuis deux ans, elle répond sans détours à la question de savoir si elle est Italienne : « Non, Albanaise ! »

ALBANIE, 1 207 km EST

Commissaire : Jean-Roch Bouiller
Nombre d’artistes : 11
Nombre d’œuvres : environ 40

ALBANIE, 1 207 km EST

Jusqu’au 2 janvier, MuCEM, 1, esplanade du J4, 13002 Marseille, tél. 04 84 35 13 13, www.mucem.org, tlj sauf mardi 11h-18h, entrée 9,50 €. Catalogue éd. Mucem, 120 p., 22 €

Légende Photo :
Maisons colorées à Tirana (Albanie) © Photo Albinfo - 2015 - Licence CC BY-SA 3.0
Endri Dani, Palimpsest 01, 2010, métal, peinture, collection de l'artiste © Endri Dani

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°468 du 25 novembre 2016, avec le titre suivant : L’Albanie d’aujourd’hui

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