Chine - Musée

Hongkong, « M- » ou « M+ » ?

Par Emmanuel Fessy · Le Journal des Arts

Le 9 novembre 2016 - 810 mots

HONG KONG / CHINE

Lars Nittve a quitté son poste de directeur exécutif du futur musée dénommé « M+ » : musée d’art du XXe et XXIe siècle à Hongkong.

Une femme vient de lui succéder : Suhanya Raffel, directrice adjointe d’un établissement reconnu, l’Art Gallery of New South Wales à Sydney et commissaire, en 2006-2007, de l’Asia Pacific Triennial of Contemporary Art. Sur les plans d’Herzog & de Meuron – architectes, notamment, de la Tate Modern à Londres –, le M+ , financé par des fonds publics, disposera d’une surface de 62 000 mètres carrés. Ce bâtiment que l’on imagine déjà remarquable ambitionne de montrer les arts visuels des XXe et XXIe siècles, et avant tout les œuvres des artistes chinois continentaux dans leur plus vaste expression et à un niveau international. Ambition normale en Occident et dans certains pays d’Asie, mais inédite en Chine, en particulier à Hongkong. Souvenons-nous que la seule exposition offrant une large vue de l’art contemporain en Chine avait eu lieu au Musée national des beaux-arts de Pékin il y a près de trente ans, en février 1989, avant le massacre de Tiananmen. Constatons aussi que l’ancienne colonie britannique ne dispose encore d’aucune institution publique majeure et que ce sont des fondations, telle K11, qui commencent à y jouer un rôle, ou quelques galeries et la foire Art Basel Hong Kong.

Contexte politique
Le M+ aurait dû ouvrir l’an prochain, mais la fin des travaux est désormais repoussée à 2019. Lars Nittve a invoqué ce délai pour justifier sa décision de ne pas solliciter le renouvellement de son contrat. Le Suédois, qui a été directeur de nombre d’établissements parmi lesquels la Tate Modern, a mis depuis 2011 son professionnalisme au service de la conception intellectuelle d’un musée public pouvant agir en toute indépendance, avec un code de déontologie pour les acquisitions et les donations. Il est resté discret sur le contexte politique de ce retard de chantier. S’y joue l’influence des associations hongkongaises, revendiquant un musée promouvant avant tout les artistes de l’île, et s’y perçoit surtout la tension accrue entre le gouvernement central de Pékin et l’ancienne colonie britannique, le non-respect du principe énoncé par Deng Xiaoping : « un État, deux systèmes ».

Le M+, pourtant, s’est doté d’une collection reconnue, à portée internationale, mais ce capital pourrait revenir comme un boomerang. Elle est le fruit d’une personnalité peu banale, Uli Sigg. Arrivé en Chine à la fin des années 1970 pour le compte des ascenseurs Schindler afin de nouer une première joint-venture, ce Suisse se met à sillonner le pays pour visiter les ateliers d’artistes afin de découvrir une autre Chine que celle, fermée et surveillée, des réseaux officiels. Revenu à Pékin dans les années 1990, cette fois comme ambassadeur de son pays, il poursuit de manière systématique son travail documentaire : rassembler des œuvres qui témoignent du passage d’un art voué au réalisme socialiste à une pratique devenant de plus en plus autonome. En 2012, il décide de « rendre cet ensemble à la Chine ». Il a toujours refusé de céder aux sirènes des maisons de ventes, comme ont pu le faire des collectionneurs, tel Guy Ullens, qui a aussi ouvert un musée d’art contemporain à son nom en 2007 à Pékin. Invité par le Centre Pompidou et le Centre culturel suisse le 24 octobre à Paris pour une conférence, Uli Sigg a rappelé qu’il ne voulait pas bâtir son propre musée mais donner sa collection à une institution publique, car celle-ci offre une garantie à « la mémoire ». La folle croissance des musées privés en Chine est fragile et est due à l’inexistence d’un secteur public. Il a choisi Hongkong parce que la liberté y paraissait plus grande, et surtout parce qu’à Pékin et Shanghaï aucun dirigeant n’était capable de lui expliquer les critères de la censure, les raisons pour lesquelles une œuvre pouvait être exposée puis décrochée.

Le M+ possède aujourd’hui près de 1 500 œuvres issues de sa collection, dont certaines défient les aléas de la censure. Ai Weiwei figure parmi les quelque 350 artistes qu’elle représente. Du 22 février au 6 avril, en préfiguration du futur musée, le M+ a exposé une sélection de l’ensemble. Uli Sigg voulait l’intituler « Right is wrong », mais le titre a été refusée pour devenir banalement « M+ Sigg Collection : four decades of Chinese contemporary art » ; cependant le choix des œuvres a bien été respecté. « En 2012, je ne pouvais pas anticiper la situation actuelle et personne ne peut prédire aujourd’hui ce qu’il adviendra. » Également sportif de haut niveau en aviron, Uli Sigg connaît l’endurance. Espérons que Suhanya Raffel saura en faire preuve car les enjeux de M+ dépassent les seuls arts visuels pour rejoindre ceux de la démocratie et de la lutte contre le repli sur soi. Il ne doit pas devenir « M– ».

Légende photo

Le projet du M+ museum, à Hong Kong. © Herzog & de Meuron

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°467 du 11 novembre 2016, avec le titre suivant : Hongkong, « M– » ou « M+ » ?

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