Nouveaux fauves

Immendorff, le rouge lui va si bien

Par Henri-François Debailleux · Le Journal des Arts

Le 9 novembre 2016 - 758 mots

La galerie Suzanne Tarasieve à Paris présente pour la première fois des œuvres de l’artiste allemand, couvrant toutes les périodes depuis les années 1970.

PARIS - Cela fait presque vingt ans que Suzanne Tarasieve se passionne pour les artistes allemands. Si elle a déjà montré Baselitz, Lüpertz, Penck, elle n’avait encore jamais exposé Jörg Immendorff (1945-2007). C’est désormais chose faite avec cette mini-rétrospective, montée avec la complicité du galeriste Michael Werner, composée d’une quarantaine de pièces et intitulée « Il était une fois Immendorff ».

Dans L’Homme des hautes plaines (1973), Clint Eastwood en justicier fait repeindre la ville en rouge pour punir les habitants après qu’ils ont laissé tuer le shérif par des bandits. En référence à cette scène, Jörg Immendorff demandera, lors de sa grande exposition en 2005 à la Neue Nationalgalerie, que les murs et la moquette de ce musée parmi l’un des plus importants de la ville de Berlin soient de couleur rouge. C’est pourquoi Suzanne Tarasieve a choisi aujourd’hui avec Oda Jaune (la veuve de l’artiste, elle-même peintre) de recouvrir de rouge les deux murs latéraux de la première salle de sa galerie. Sur celui de gauche, Café Deutschland VIII – Kein Licht für wen (« Aucune lumière pour qui ») de 1980 ; sur celui de droite, Es gibt keine Hölle (« Il n’y a pas d’enfer ») de 1985, soit deux grandes toiles (350 x 280 cm et 330 x 285 cm) qui occupent presque la totalité du mur (de la même manière qu’Immendorf sature ses tableaux d’une multitude de figures), laissant juste le rouge leur constituer un cadre. Dans un coin, un Hund (« Chien »), une gouache sur papier de 1969 posée au sol, selon le mode de présentation qu’il aimait.

Sur le mur du fond, Zwei gelbe Babies (« Deux bébés jaunes »), une peinture sur bois découpé de 1967 (!), soit une œuvre de jeunesse, réalisée trois ans après que l’artiste, alors âgé de 23 ans, a été admis dans la classe de Joseph Beuys, dont il deviendra proche, à la Kunstakademie de Düsseldorf. Le ton de l’exposition est donné : celui d’une grande force, d’un choc visuel et d’une qualité muséale. Avec des œuvres des années 1970 à 2000 – ces dernières étant réalisées sous les directives d’Immendorff par des assistants alors qu’il était atteint de la maladie de Charcot –, l’exposition évoque en effet toutes les périodes de l’artiste, rendant compte de tous ses engagements. Car de sa participation au collectif néodadaïste « Lidl » des années 1960 jusqu’à la fin de sa vie, Immendorff, provocateur, révolutionnaire, auteur de manifestes, fondateur avec Penck de l’Alliance d’action RFA-RDA en 1976, n’a eu cesse de se positionner sur le plan social et politique, de réfléchir sur la situation même de l’Allemagne et sa division est-ouest, explicitement évoquée dans le Café Deutschland. « Nous avons besoin d’idées et de symboles clairs pour transmettre un message […] Il faut à présent réfléchir à nouveau sur le sens de l’art, sur ses énergies, sur ce qu’il peut faire pour la société », nous confiait-il en avril 1993, à l’occasion de son exposition dans les galeries contemporaines du Centre Pompidou. D’où son constant rapport à l’histoire et à l’histoire de l’art, comme en témoignent ses nombreux clins d’œil aussi bien à Caspar David Friedrich qu’à Beuys, évoqué ici par son célèbre chapeau, ou là, de façon ironique, un pinceau à la main.

Une œuvre complexe
Compris entre 6 500 euros pour des dessins, et un pic à 900 000 euros pour le Café Deutschland VIII, avec de nombreuses œuvres affichées entre 95 000 et 400 000 euros, ces prix constituent une cote qui n’a rien d’excessif pour un artiste de cette trempe et de cette génération. L’œuvre d’Immendorff est complexe avec ses juxtapositions de plans, de séquences, ses proliférations et télescopages d’éléments et, sans être méconnue, elle n’a pas été souvent montrée. En France par exemple, la première exposition de l’artiste a eu lieu en 1985 à la Maison de la culture de Saint-Étienne alors sous la houlette de Fabrice Hergott (l’actuel directeur du Musée d’art moderne de la Ville de Paris). Il faudra ensuite attendre 1993 et l’exposition du Centre Pompidou, tenue parallèlement à celle de la galerie Daniel Templon, puis, en 1994, une monographie au Centre d’art contemporain de Meymac (Corrèze). Avant la Fondation Maeght au printemps  2015 qui présentait « Les théâtres de la peinture ».

IMMENDORFF

Nombre d’œuvres : 42 dont 12 dessins, 4 sculptures et 2 bas-reliefs
Prix : entre 6 500 et 900 000 €

JÖRG IMMENDORFF, IL ÉTAIT UNE FOIS IMMENDORFF

Jusqu’au 31 décembre, Galerie Suzanne Tarasieve, 7, rue Pastourelle, 75003 Paris, tél. 01 42 71 76 54, www.suzanne-tarasieve.com, du mardi au samedi 11h-19h.

Légende Photo :
Jörg Immendorff, Café Deutschland VIII - Kein Licht für wen, 1980, acrylique sur toile, 280 x 350 cm. © Estate of Jörg Immendorff, courtesy Galerie Michael Werner Märkisch Wilmersdorf, Cologne/New York, et Galerie Suzanne Tarasieve, Paris

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°467 du 11 novembre 2016, avec le titre suivant : Immendorff, le rouge lui va si bien

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