Sculpture

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Rodin, une vie en Enfer

Par Le Journal des Arts · Le Journal des Arts

Le 8 novembre 2016 - 744 mots

Pour la première fois, le Musée Rodin retrace l’histoire féconde et mouvementée de la « Porte de l’Enfer », qui traverse toute la carrière du sculpteur.

PARIS - « Aussi étrange que cela puisse paraître, le Musée Rodin n’avait encore jamais présenté dans ses murs une exposition exclusivement consacrée à La Porte de l’Enfer », écrit François Blanchetière dans le catalogue de l’exposition « L’Enfer selon Rodin ». C’est donc à un événement exceptionnel qu’est convié le visiteur, qui bénéficie des importantes recherches réalisées au cours des dernières années pour comprendre à quel point cette œuvre, jamais terminée, fut un catalyseur d’inspiration pour le sculpteur.

C’est en 1880 que Rodin reçoit la commande du modèle d’une porte décorative ornée de bas-reliefs illustrant La Divine Comédie de Dante, un choix qui s’explique, relate le conservateur, « par les liens que Rodin a réussi à créer avec le sous-secrétaire d’État aux Beaux-Arts, Edmond Turquet, par l’intermédiaire de Maurice et Georges Haquette qu’il a connus à la Manufacture de Sèvres », où il travaillait comme modeleur. Cette quasi-obscurité de l’artiste à l’époque, alors qu’il a déjà près de 40 ans, est évoquée dans l’entrée de l’exposition où est présenté L’Âge d’airain (1877), bronze qui fut l’occasion, pour Turquet, de rencontrer l’ami de son beau-frère Maurice Haquette. Mais cette commande, reprend François Blanchetière, « est une bizarrerie. Rien n’indique les dimensions de la porte et c’est ce qui fait probablement que le montant en était aussi peu important (8 000 francs). Le terme de “modèle” n’est pas non plus facile à interpréter. Lui commande-t-on une sorte de maquette, ou un modèle en plâtre qui servira à fondre le bronze ? Ce n’est pas clair. En tout cas, Rodin a saisi sa chance ! ».

Un motif d’inspiration majeur
Pour cette œuvre qu’on lui a commandée sous le nom « Les Chants du Dante » et qui est destinée à ouvrir sur un hypothétique musée des arts décoratifs, le sculpteur se retrouve devant une feuille blanche. Il a tout à imaginer, forme et sujet. Il se cantonne d’abord à la partie de la Divine Comédie consacrée à l’Enfer et, en même temps qu’il dessine les premiers croquis, modèle des maquettes. D’année en année, de recherches en revirements, l’exposition suit son cheminement. Les grandes figures apparaissent très vite : le personnage qui pense, sans doute un Minos, puis un Dante (Le Penseur, première version de 1881) ; le couple Paolo Malatesta et Francesca da Rimini s’embrassant (Le Baiser, 1881-1882) ; Ugolin penché sur ses enfants qu’il va dévorer… Les « dessins noirs » montrent comment l’imagination de Rodin emprunte des directions  par la suite abandonnées. On peut ainsi relier à la Porte L’Homme au serpent (1887) conservé à Lausanne.

À mesure que l’exposition et le travail de Rodin avancent, le ton change. Cet Enfer – que l’État continue de subventionner mais qu’il ne considère plus comme une urgence – prend un rôle moteur pour l’inspiration du sculpteur, devient une ligne directrice pour ses recherches formelles. Ainsi, il se tourne vers Les Fleurs du mal de Baudelaire pour alimenter sa créativité, intégrant dans sa Porte des motifs tel celui du couple formé pour Je suis belle (1886), inspiré de l’un des poèmes du recueil. De plus en plus connu du public, grâce notamment à ceux qui, après être passés dans son atelier, chantent les louanges de son travail sur l’Enfer, il libère son imagination et sa sensualité et expose les pièces de sa Porte comme des sujets à part entière (joliment appelés « les évadés de la Porte » dans l’exposition). Mieux, il en inverse les positions, les combine autrement ou en agrandit des fragments pour en faire de nouvelles œuvres. Cependant, une salle consacrée à ses recherches sur les moulures en architecture montre qu’il continue d’élaborer le monument commandé.

Au début du XXe siècle encore, il s’inspire de Dante (ainsi pour Paolo et Francesca dans les nuages, un marbre de 1904), après avoir exposé au public, en 1900, une Porte de l’Enfer privée de ses sculptures en ronde bosse. Ce n’est qu’à la toute fin de sa vie qu’est réalisé le plâtre final qui servira aux différentes fontes de la Porte de l’Enfer existant à travers le monde. Celle du Musée Rodin, placée dans le jardin, est l’aboutissement de cette visite passionnante.

L’ENFER SELON RODIN

Commissaire : François Blanchetière, conservateur du patrimoine, adjoint au responsable du service de la conservation du Musée Rodin
Nombre d’œuvres : 176 sculptures et desssins

L’ENFER SELON RODIN

Jusqu’au 22 janvier 2017, Musée Rodin, 77, rue de Varenne, 75007 Paris, tlj sauf lundi 10h-17h45, www.musee-rodin.fr, http://enfer.musee-rodin.fr/home (site sur la Porte de l’Enfer), entrée 10 €. Catalogue, coéd. Norma Éditions/Musée Rodin, 34 €.

Légende Photo :
Auguste Rodin, Paolo et Francesca dans les nuages, 1904-1905, marbre, Musée Rodin, Paris © Photo : Musée Rodin/C. Baraja

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°467 du 11 novembre 2016, avec le titre suivant : Rodin, une vie en Enfer

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