Pierre-Alexis Dumas directeur artistique d’Hermès et président des Arts décoratifs

Le directeur artistique d’Hermès, Pierre-Alexis Dumas, a récemment pris la présidence du Musée des arts décoratifs

Par Christine Coste · Le Journal des Arts

Le 25 octobre 2016 - 1635 mots

Revenu dans le giron d’Hermès, ce féru d’art a préféré prendre en charge la création dans la maison familiale plutôt que d’occuper le fauteuil de son père.

Lorsqu’en 2014 Pierre-Alexis Dumas, président de la Fondation d’entreprise Hermès, a contacté les Arts décoratifs pour évoquer l’exposition « Bauhaus », il était loin d’imaginer que trois ans plus tard il serait élu à l’unanimité à sa présidence et que cette nouvelle fonction le conduirait à quitter celle de la Fondation « afin d’éviter, explique-t-il, tout conflit d’intérêts ». Après avoir donné corps en mai 2008 à l’idée de son père, de l’avoir développée à sa façon avec Catherine Tsekenis sa directrice, et d’en avoir assumé un premier mandat, Pierre-Alexis Dumas a donc quitté volontairement la Fondation d’entreprise Hermès en décembre dernier. Il reste toutefois membre du conseil d’administration.

« Je n’étais pas vraiment demandeur d’un deuxième mandat, car il est important de ne pas s’installer dans ces rôles à vie », confie-t-il, comme de ne pas s’installer dans une fonction, exceptée dans celle de directeur artistique d’Hermès en charge de la création et de l’image qu’il exerce depuis onze ans. « Tous mes choix sont mûris et assumés », reprend-il. Peut-être une manière d’écarter l’invariable suspicion du parcours entamé dans la maison à 27 ans imposé par son père Jean-Louis Dumas. À la question de savoir si, quand il était enfant ou adolescent, il allait de soi pour ses parents qu’il travaillerait un jour dans l’entreprise, la réponse fuse spontanément d’une voix claire : « Pas du tout. Il en était même hors de question. Jamais mes parents m’ont dit : tu travailleras chez Hermès. Je n’en avais alors aucune envie. Je rêvais de devenir ingénieur astrophysicien. »

De l’informatique au textile

C’est dans cette optique qu’il s’est inscrit à la Brown University (États-Unis) à 18 ans avant de se rendre compte, au bout de deux ans, de son erreur d’aiguillage  et de passer du département informatique au département arts visuels de l’université. Il aurait pu pourtant poursuivre, faire un deuxième ou troisième cycle, emporté peut-être par sa découverte de Josef Albers et de l’altération de la perception selon l’utilisation des contrastes des couleurs. Il n’en fut rien. « La possibilité de suivre une formation d’un an chez Ratti, imprimeur textile de renom au nord de l’Italie m’en a détourné.

L’instant décisif s’est déroulé à ce moment-là. En rentrant dans le champ des métiers d’art et de l’entreprise, j’ai fait inconsciemment un choix et je me suis retrouvé tout naturellement à rentrer chez Hermès. » Il aurait pu aussi s’inscrire dans l’agence RDAI de sa mère Rena Dumas, célèbre architecte d’intérieur, plutôt que dans l’entreprise de son père. « Je n’ai fait ni l’un ni l’autre », répond-il. « Celui qui exerce le travail de mon père aujourd’hui c’est mon cousin Axel Dumas. »

Aborder le tandem qu’il forme avec son cousin le conduit à corriger une idée reprise régulièrement à leur propos, quand est évoquée la réinvention d’Hermès qu’ils ont opérée en quelques années : « Si effectivement nous sommes très proches, nous ne formons pas un tandem. Je travaille pour Axel Dumas, le gérant d’Hermès pour qui j’ai une admiration sans borne. Axel a su s’entourer de gens de grand talent et pratique une intelligence collective. Le métier qu’il exerce, je le connais bien pour avoir vu mon père le pratiquer pendant trente ans. Je sais ce qu’il implique. Il y a très longtemps, j’ai décidé de ne pas l’exercer. Cela aurait été une trahison de ma propre personne, une erreur. »

Pierre-Alexis Dumas a donc construit son propre chemin dans l’entreprise. Il s’est formé au sein du groupe au commerce, à la gestion de projet en passant par différentes activités et en choisissant la filiale de Hongkong pour première étape de son apprentissage. Le séjour devait durer six mois, il s’étirera sur cinq ans, durant lesquels il ouvrira le marché chinois pour Hermès et montera en responsabilité. Partir, voyager, cela va de soi pour lui. Jean-Louis et Rena Dumas ont été des globe-trotters dans l’âme. Le biculturalisme des parents à la personnalité marquante a fortement imprégné son éducation et sa personnalité, racontent ses proches. Si du côté de son père, on est protestant, côté maternel on est grec, orthodoxe. Rena Dumas est née à Athènes et la Grèce, Egine en particulier aujourd’hui, représente plus que le cadre des vacances familiales, c’est « un autre monde, une autre culture, une autre vision des choses et des relations aux autres » auxquels il tient au point de venir s’y ressourcer en famille.

Un globetrotter revenu au nid
De 18 à 36 ans, Pierre-Alexis Dumas a vécu à l’étranger. Après les États-Unis, l’Italie, l’Asie ce fut Londres pour diriger la filiale. Au début des années 2000, il s’était inscrit pour un deuxième cycle en peinture à la Byam Shaw school of art racheté depuis par la  Central Saint Martins College of Art and Design, mais ne sachant pas s’il allait revenir à Paris, il n’y a fait qu’une année. La maladie de son père et son souhait de l’avoir à Paris près de lui l’ont confronté à un autre moment décisif. « J’aurais pu rester à Londres et me concentrer à la créativité d’un travail personnel plutôt que rentrer pour travailler à la direction artistique auprès de mon père. J’ai décidé de me consacrer à la créativité chez Hermès. »

S’il n’avait pas appartenu à la famille Dumas aurait-il choisi d’être peintre ? « Dans un autre contexte, tout en étant la même personne, j’imagine que je me serais orienté vers un métier de la création c’est certain », à l’image de sa sœur Sandrine Dumas comédienne et réalisatrice. Quoi qu’il en soit, ce retour à 38 ans à Paris l’a engagé dans un autre cycle. Une autre période de vie ébranlée par la disparition de sa mère en avril 2009, suivie un an plus tard par celle de son père, mais marquée aussi irrévocablement par l’affirmation de sa propre vision de la direction artistique d’Hermès, de sa propre identité. « Une de mes grandes batailles a été chez Hermès de construire, de structurer le processus de création, afin de pouvoir accompagner l’entreprise dans sa croissance », explique-t-il. « Il y a une ère Jean-Louis Dumas qui lui est propre, très centralisée sur lui. Une charge d’ailleurs devenue très lourde à gérer pour le responsable du groupe qu’il était, puisqu’il était également au cœur de la création. Aujourd’hui, je suis un directeur artistique c’est mon métier, mais je fais un métier différent de celui que pratiquait mon père. J’ai opéré la translation d’un dispositif centré sur une personne à un dispositif relayé par une équipe, où chacun assume une part de responsabilité. J’essaie de libérer les énergies, les talents des uns et des autres, d’être en retrait tout en les accompagnant et en étant présent dans les intentions et les objectifs. »

Un univers artistique éclectique

Un positionnement que l’on retrouve dans le partenariat qu’a engagé en 2010 la Fondation d’entreprise Hermès avec le Centre Pompidou-Metz pour l’exposition « Formes Simples » signée Jean de Loisy. De bout en bout, pendant presque quatre ans, Pierre-Alexis Dumas a suivi son cheminement depuis sa genèse, née de la rencontre suscitée par le sculpteur Emmanuel Saulnier avec Jean de Loisy. L’idée que la fondation travaille avec une grande institution culturelle sur un ambitieux projet transversal et universel se retrouve dans l’exposition Bauhaus aux Arts décoratifs. Toutefois l’élection à la présidence de cette institution l’engage désormais à d’autres types d’implications et de missions, comme celle de lui donner un nouvel élan. Fort de son parcours, son métier et son tissu relationnel constitué au fil de ses voyages, Pierre-Alexis Dumas se dit « prêt à 50 ans pour accompagner aujourd’hui une institution comme les Arts décoratifs ».

Dans son bureau de la rue d’Anjou, l’éclectisme des œuvres, des objets ou des livres qui l’entourent dans un très vivant et élégant désordre disent beaucoup de lui et de son univers : ses choix allant de la célèbre injonction de Jean-Michel Alberola La sortie est à l’intérieur au fascinant Carré  Or de Bernard Aubertin en passant par le tonitruant tableau de Chéri Samba J’aime la couleur, Henri Cartier-Bresson, Chris Killip, Pierre Charpin, Antoine Asis, Antoine Tzapoff, Christian Bonnefoi. Chacun renvoie à ce qui a retenu son regard, à sa passion pour l’art, à la libération intérieure, les questionnements qu’il soulève, voire à l’introspection, la méditation qu’il induit. Sa sensibilité à l’art au sens très large, ses différents séjours à l’étranger et multiples voyages ont tissé un maillage discret de relations, de soutiens à des artistes et d’amitiés indéfectibles. En premier lieu celles avec Emmanuel Saulnier, Alice Morgaine grande amie de ses parents et Catherine Tsekenis qu’il a recrutée pour diriger la Fondation d’entreprise Hermès. Emmanuel Saulnier est un des rares artistes à avoir connu l’atelier que Pierre-Alexis Dumas a loué quand il est revenu à Paris.

Car si ses proches ou ses collaborateurs relèvent invariablement la grande civilité, l’écoute, l’attention, l’exigence et la sensibilité du patron de la création artistique d’Hermès, ils n’ignorent pas que ces qualités ne peuvent être dissociées de l’intériorité profonde, voire mélancolique que porte aussi parfois son regard et son attitude. Une manière d’être au monde à relier peut être à ce que sa mère appelait « le mal d’Ithaque », « cette étrange nécessité de partir, cette soif éperdue du retour, cette mélancolie qui imprégnait tous les souvenirs » et qu’il raconte dans son texte Réminiscences qui accompagne les photographies d’Evangelia Kranioti publiées dans l’éphémère revue Rendez-Vous de Michel Nuridsany. L’astrophysicien qu’il voulait être a finalement appris à naviguer aux étoiles.

Pierre-Alexis Dumas en dates

1966 : Naissance à Paris
1993 : Entre dans la maison Hermès
1996 : Directeur des filiales du groupe à Hongkong, Taïwan et en Chine
1998 : Directeur de la filiale anglaise
2002 : Directeur artistique délégué auprès de son père Jean-Louis Dumas
2005 : Directeur artistique d’Hermès International en charge de la création et de l’image
2008 : Création de la Fondation d’entreprise Hermès qu’il préside jusqu’en février 2016
2016 : Depuis 1er janvier, président des Arts décoratifs

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°466 du 28 octobre 2016, avec le titre suivant : Pierre-Alexis Dumas directeur artistique d’Hermès et président des Arts décoratifs

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